Théâtre - Critique

Ida ou le délire

Ida ou le délire - Critique sortie Théâtre


« Je lui disais toujours / Ida. Regardez pas vos pieds comme ça. Levez un peu la tête. Pourquoi baissez-vous la tête comme ça ? Vos pieds… vous les connaissez. Ils ont grandi avec vous. Vous les avez toujours vus vos pieds. Vos pieds. Pas vrai. Ida. Ce que je vous dis. C’est la pure vérité. Votre vie bornée par vos énormes pieds. Du combien chaussez-vous ? Votre pointure ? Du combien c’est que vous pouvez chausser ? Ida. » Comment parler de l’admirable monologue que présente actuellement Anaïs de Courson à la Maison de la Poésie sans donner, en préambule, un large aperçu de la langue (si belle, si particulière) d’Hélène Bessette (écrivaine injustement oubliée, née en 1918, disparue en 2000). « Ne faites pas cette tête-là. Si je vous parle de vos pieds. Des pieds… ça vaut bien la tête. Est-ce qu’on se passe mieux des pieds que de la tête ? Justement je vous demande Ida pour l’amour du ciel. Levez la tête. » Partie sur les chapeaux de roue, la comédienne s’élance comme dans une course folle, se laisse traversée par un flot discontinu de mots, de phrases, de rythmes, jusqu’à en perdre souffle, en balançant les bras, en syncopant sa diction, en jouant non seulement de sa voix, mais aussi de son corps. 

Le « chant incarné » d’une artiste virtuose

Immédiatement happés par ce « chant incarné » d’une grâce étonnante, les spectateurs restent comme saisis durant de longues minutes, manifestement ébahis par le rythme, par l’énergie de cette entrée en matière. Les yeux rivés sur Anaïs de Courson, ils sont en prise directe avec le moindre de ses déplacements, de ses mouvements, la moindre de ses modulations, des aigus jusqu’aux graves. Il faut dire que cette performance d’une heure révèle le talent d’une artiste virtuose. Loin de tout formalisme, de toute affectation, l’interprète se fait musicienne pour restituer sur scène le choc que fut pour elle la découverte de cette écriture. Elle le fait avec humour et profondeur. Embarqués dans cette narration où la vie et la mort d’une employée de maison prénommée Ida prennent une dimension quasi mythologique, nous voyons défiler devant nos yeux toutes sortes de représentations imaginaires. Une femme qui ne voit que ses pieds. Une femme qui se prend pour un oiseau de nuit. Un corps percuté par un camion… Tout cela se succède et se mélange de façon très joyeuse, créant un moment de poésie entre abstraction et authenticité. 

Manuel Piolat Soleymat                 


Ida ou le délire, d’Hélène Bessette (texte réédité par LaureLi/éditions Léo Scheer) ; conception et interprétation d’Anaïs de Courson. Du 25 janvier au 19 février 2012. Du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Maison de la Poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, 75003 Paris. Tél : 01 44 54 53 00 ou sur www.maisondelapoesieparis.com. Durée : 1h.

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