Théâtre - Critique

Henri VI (Cycle 1)

Henri VI (Cycle 1) - Critique sortie Théâtre Sceaux _Théâtre Les Gémeaux


Les Gémeaux / Sceaux
Shakespeare / mes Thomas Jolly

Quelle chevauchée ! Menée avec belle audace, inspiration et autant de générosité ! Quand le rideau tombe et emporte dans sa nuit la ferveur collective, après huit heures de traversée dans les méandres de l’humain et les sombres alcôves de l’histoire, le théâtre longtemps continue de vibrer, laissant la déflagration tragique doucement se loger au creux du présent. C’est que le jeune Thomas Jolly sait y faire pour ravir la connivence du public et frayer un chemin dans l’épaisse futaie des quelque 15 actes, 150 personnages et près de 10 000 vers que compte Henri VI. Rivalités de clans, procès en légitimé, luttes d’influence, ambitions personnelles, trahisons, complots et assassinats : Shakespeare ourdit une vertigineuse plongée au cœur du pouvoir suprême, retraçant cinquante années de règne de celui qui fut proclamé roi à l’âge de neuf mois, à la mort de son père Henry V, et succomba sous les traîtres coups du futur Richard III en 1471, affrontant la guerre de Cent Ans, la guerre des Deux-Roses et la guerre civile. Composée en 1592, cette vaste fresque se situe à la jonction du théâtre du Moyen Age, qui brosse des chroniques historiques en visions amples et allégoriques, et de l’art de la Renaissance, qui dessine, dans les fissures de l’ordre théologique, l’homme face à son destin, en proie à ses questionnements sur le monde et le sens de l’existence.

D’un monde à l’autre

Thomas Jolly épouse à merveille l’évolution de la théâtralité. Il fait d’abord jouer à plein tous les artifices du théâtre et les ressorts comiques de la pièce, quitte à trop forcer sur les effets grandguignolesques et les gags à la Monty Python. Avec un rien pourtant, quelques accessoires détournés et transformés par le pouvoir de l’imagination, il bâtit un monde. L’interminable guerre de Cent ans tourne à la farce, les querelles entre médiocres puissants révèlent leurs vaniteux fondements et leurs mesquins stratagèmes. Quant à Jeanne d’Arc, en perruque bleue et harnais tout cuir, elle livre bataille en pétroleuse sacrément déculottée. Porté par une troupe à l’unisson, le feuilleton avance avec allure, ponctué d’entractes et d’interventions d’une facétieuse rapsode qui résume les épisodes précédents, raille les idées du metteur en scène et les costumes, commente l’état de la troupe ou s’inquiète du bien-être des spectateurs. Thomas Jolly et sa Piccola Familia maîtrisent avec brio les variations de rythme et le mélange des genres, tant et si bien qu’ils nous entraînent au plus profond du tragique. Sans décor grandiloquent, ni poses hiératiques, mais avec inventivité, vitalité, poésie et humour. Peu à peu, s’opère le basculement d’une époque à l’autre : à l’ordre providentiel régi par le divin, succède un monde où l’homme peut tracer la destinée. Un monde où l’opportunisme, le cynisme et la manipulation peuvent aussi piétiner la vertu.

Gwénola David

A propos de l'événement


Henri VI (Cycle 1)
du vendredi 10 janvier 2014 au mercredi 22 janvier 2014
_Théâtre Les Gémeaux
49, avenue Georges Clémenceau, 92330 Sceaux.
En alternance, du 10 au 22 janvier 2014, à 20h00, sauf dimanche à 15h, relâche lundi et jeudi 16 janvier. Intégrale du cycle 1 : dimanche 12 et dimanche 19 janvier. Tél. : 01 46 61 36 67. Spectacle vu au Théâtre national de Bretagne. Durée du cycle 1 : 8h30 en intégrale avec entractes.

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