Théâtre - Critique

Haskell Junction

Haskell Junction - Critique sortie Théâtre Bordeaux Théâtre du Port de Lune


Tnba / texte et mes de Renaud Cojo

Un pied au Québec, un pied dans le Vermont, la petite ville de Stanstead est depuis ses origines un terrain propice au mythe et à l’absurde. Sur un plateau recouvert de fausse neige et d’un tronc d’arbre, les deux comédiens en fourrures qui ouvrent Haskell Junction donnent à voir cette genèse telle que se l’est appropriée Renaud Cojo. Vacillant, s’arrêtant parfois pour pousser la chansonnette ou évoquer une querelle ancienne, ils finissent par diviser le plateau en deux à l’aide de bon gros scotch noir. Matériau évidemment absent des sacoches des deux arpenteurs envoyés en 1772 pour tracer la frontière entre Canada et États-Unis, et qui selon des rumeurs persistantes auraient trop abusé de l’alcool pour assumer correctement leur mission. Tout en laissant libre cours à sa fantaisie nourrie de culture populaire – on se rappelle de son excellent spectacle sur Ziggy Stardust créé en 2009 –, le metteur en scène semblait alors promettre un récit du riche et singulier passé du village. Dans la veine peut-être de l’excellent moyen-métrage de docu-fiction réalisé avant le spectacle, en ligne sur le site de l’artiste. L’attente est déçue. Du moins dans un premier temps. Teintée de fantastique, résolument grotesque, une série de traversées de la nouvelle démarcation par des personnages et créatures étranges – un gros ver doré et une Allemande à perruque, entre autres – fait pencher la proposition du côté de la performance. Au détriment de la réflexion sur l’idée de frontière, pourtant très présente dans le film évoqué plus tôt.

Géographie du danger

Les tableaux qui suivent évoquent divers épisodes du passé de Stanstead d’une manière si cryptée qu’il faut être très renseigné pour les saisir. Ou attendre la projection finale d’une déclinaison du moyen-métrage original. On comprend alors pourquoi on a dû patienter le temps qu’une comédienne nue se compose à l’aide de plastique transparent une ceinture de fioles vides : pendant la Prohibition, la géographie particulière de Stanstead en a fait un haut lieu de contrebande, comptant pas moins de 26 distilleries. Le dialogue post-mortem entre les anciens membres des Beatles s’éclaire lui aussi à l’évocation d’une rencontre prévue au Haskell Opera House. Un théâtre-bibliothèque volontairement construit sur la frontière canado-américaine, qui aurait pu donner à la pièce une unité de lieu. Si elle invite à la relecture de l’ensemble, cette structure binaire pointe surtout l’échec de Renaud Cojo à mêler ses matériaux divers. Ses recherches historiques, sa petite odyssée personnelle, ses influences rock, ses questionnements politiques… Tout cela aurait gagné à être présenté sans apprêt : comme les éléments d’une démarche en cours, dont le spectacle n’est qu’une mise en forme provisoire. Une étape. Une belle intuition à reformuler sans cesse. À chaque création d’une nouvelle frontière dans le monde.

Anaïs Heluin

 

A propos de l'événement


Haskell Junction
du vendredi 13 octobre 2017 au jeudi 18 mai 2017
Théâtre du Port de Lune
Place Pierre Renaudel, 33800 Bordeaux, France

Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h. Relâche les 15 et 16. Dans le cadre du FAB - Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. Tel : 09 83 77 04 49.


Également le 6 février 2018 aux Sept Collines, Scène conventionnée de Tulle, le 9 février à la MA, Scène Nationale Pays de Monbéliard, du 20 au 22 février au NEST – CDN de Thionville, le 18 mai au Théâtre Ducourneau, Scène conventionné d’Agen.


A lire aussi sur La Terrasse

  • Théâtre - Entretien

Mme Klein

Sous la direction de Brigitte Jaques-Wajeman, [...]

Du mercredi 4 octobre 2017 au 20 octobre 2017
  • Classique / Opéra - Agenda

Jean-François Zygel

Improvisations autour de Beethoven

Le jeudi 19 octobre 2017
  • Théâtre - Gros Plan

Aphra Behn – Punk and Poetess

Aline César crée une forme courte autour de [...]

Du vendredi 6 octobre 2017 au 15 octobre 2017