Théâtre - Entretien

Hamlet, un théâtre de l’intériorité, rencontre avec Gérard Watkins

Hamlet, un théâtre de l’intériorité, rencontre avec Gérard Watkins - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête


texte William Shakespeare / traduction et mise en scène Gérard Watkins

Pour quelles raisons avez-vous voulu traduire vous-même Hamlet ? 

Gérard Watkins : Lorsque j’ai décidé d’aborder Hamlet, ce qui qui me tenait à cœur en premier lieu était de réaliser un travail sur l’écriture, fondé sur ce que je ressentais à la lecture du texte anglais. J’ai en effet désiré transmettre aux acteurs ce que j’entends du texte, qui interroge les thèmes de la violence en héritage, la révolte impossible, les conflits intergénérationnels, l’art de l’inaction, la folie et son masque, le métathéâtre… Je me suis attaché à la musicalité et à la rythmique de la langue, en remplaçant le pentamètre par une forme d’invitation à la scansion. Je me suis longuement documenté, en étudiant les travaux d’universitaires anglais, ainsi que ceux de l’américain Stephen Greenblatt, que j’apprécie beaucoup, et dont les analyses sur le catholicisme et le protestantisme en Angleterre ont contribué à nourrir une dimension religieuse dans la partition théâtrale. Celle-ci demeure fidèle au texte original. C’est la première mise en scène que je construis sans avoir écrit le texte, mais je garde la maîtrise sur la langue.

 Pourquoi avoir attribué le rôle d’Hamlet à Anne Alvaro ?

G.W.: Dans de nombreux pays, qu’Hamlet soit interprété par une femme n’est pas un sujet d’étonnement. Chaque année dans le monde, trois ou quatre productions confient le rôle-titre à une comédienne. C’est plus rare en France, où il est nécessaire de remonter à l’interprétation de Sarah Bernhardt en 1899 pour trouver un précédent ! Lors d’un travail effectué avec des élèves de l’Erac il y a trois ans, nous avions initié un relais de rôles alternant homme et femme, et j’avais été frappé par la profondeur et la sensibilité singulière du jeu des comédiennes. J’ai souhaité dans le prolongement de ces échanges confier le rôle à une grande actrice, et j’ai pensé à Anne Alvaro, comme une évidence absolue. Le spectre est aussi interprété par une femme, Mama Bourras. Son apparition met en jeu de façon manifeste la question de la transmission de la violence. Esprit du père d’Hamlet, le spectre évoque d’abord sa condamnation à purger par le feu des « crimes atroces» qu’il a commis (c’est ainsi que j’ai traduit « foul crimes », parfois traduit de manière plus édulcorée). Puis il réclame vengeance.

« Nous souhaitons faire naître un théâtre  du sensible où affleure un humour subversif, à fleur de peau. »

Quel théâtre visez-vous à faire émerger de votre adaptation ?

G.W.: Nous souhaitons faire naître un théâtre de l’intériorité, un théâtre du sensible où affleure un humour subversif, à fleur de peau. Le spectre habite le corps d’Hamlet comme une voix intérieure. Inspiré par un travail sur l’hystérie que j’ai effectué à l’occasion de mon précédent spectacle, Ysteria, je me suis appuyé sur les constructions intérieures élaborées par les gens qui entendent des voix ou ont des visions. La question essentielle n’est donc pas pour nous de nous demander pourquoi le jeune prince n’est pas prêt à se venger dignement, mais plutôt de mettre au jour les troubles, les chocs héréditaires, le complexe d’inaction, la folie contagieuse. Les personnages qui entourent Hamlet sont tout autant hantés par l’inaction, et se laissent gagner par la folie. J’accorde une importance particulière à Ophélie, un personnage d’une puissance extraordinaire, rarement entendue à sa juste valeur. Elle est interprétée par Solène Arbel. Julie Denisse endosse le rôle de Gertrude, Fabien Orcier celui de Polonius, Gaël Baron celui d’Horatio, David Gouhier celui du fossoyeur, Salome Ayache celui de Guildenstern, Basile Duchmann celui de Laërtes et Rosencrantz. J’incarne quant à moi Claudius, qui ne parvient pas à se repentir. Il n’est pas un brillant homme d’état, et tient en partie son pouvoir de son rapport à la religion, qui me rappelle par certains aspects les excès de la mouvance évangéliste américaine.

Dans quelle atmosphère et quelle temporalité inscrivez-vous votre mise en scène ?

G.W.: Assemblant des tapis, de la mauvaise herbe, des fauteuils vintage, un bar, un rideau de perle qui devient lieu de culte, la scénographie laisse voir dans une sorte de club-house churchillien une intimité condamnée à une agora permanente. Arrivé au pouvoir, Claudius ne cesse de faire la fête. Nous situons l’action à la fin des années 1960, un ancrage qui évoque d’emblée un esprit débridé, et qui permet d’éclairer avec acuité les conflits générationnels. Il est intéressant de noter que Shakespeare a introduit le personnage de l’étudiant sur scène. Ainsi apparaissent  des personnages particulièrement brillants, soucieux d’astrophysique, de métaphysique et de poésie, plus pacifistes que guerriers. Tel Laërte qui part mener bon train à Paris à la veille d’une guerre. Dans cette œuvre éblouissante, Shakespeare fait naître un théâtre du sensible qui ouvre vers la métaphysique.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement


Hamlet, un théâtre de l’intériorité, rencontre avec Gérard Watkins
du vendredi 8 janvier 2021 au dimanche 14 février 2021
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du champ de manœuvre , 75012 Paris

Du 14 janvier au 14 février 2021, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Tél : 01 43 28 36 36.  Durée : 3h.


Création au TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, les 8 et 9 janvier 2021. Tél : 05 56 33 36 80.


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