Théâtre - Critique

GIORDANO BRUNO, LE SOUPER DES CENDRES, d’après les textes de Giordano Bruno, adaptation et mise en scène Laurent Vacher

GIORDANO BRUNO, LE SOUPER DES CENDRES, d’après les textes de Giordano Bruno, adaptation et mise en scène Laurent Vacher - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Reine Blanche


Théâtre de la Reine Blanche / d’après les textes de Giordano Bruno / adaptation et mise en scène Laurent Vacher / musique Philippe Thibault et Clément Landais

Laurent Vacher remarque avec humour que la statue de Giordano Bruno, qui orne le Campo dei Fiori, à l’endroit où fut brûlé le moine hérétique, le présente comme un golgoth à la carrure impressionnante, qui n’a pas grand-chose à voir avec le personnage historique, taillé comme une ablette et vif comme un furet. Sans doute que Benoit Di Marco, svelte et ardent, ressemble davantage au dominicain : la souplesse de son jeu, l’intelligence suraiguë de son regard, la malice de sa verve et la fluidité de son débit jouent de la distanciation avec un talent rare. En même temps qu’il est Bruno, il le raconte, passant allègrement de l’exposé des conditions historiques de ses recherches et de son procès à son incarnation. Apparaît alors sur scène, comme par magie, l’insolent pourfendeur de la bêtise épaisse qui considère que la tradition et la perception sont les meilleures institutrices de l’entendement. Se méfier des idées reçues, ne pas croire ce que l’on voit, refuser que le dogme vaille comme vérité : belle définition de l’esprit critique, dont on voudrait aujourd’hui que tout le monde fasse preuve, mais dont seuls les plus audacieux et les moins timorés sont véritablement capables. Voilà peut-être pourquoi l’Inquisition cloua la langue de Bruno sur un mors de bois avant de le réduire en cendres ; voilà sans doute pourquoi, aujourd’hui comme toujours, on se plaît à faire taire ceux qui parlent haut et pensent à contrevent…

Ode à la raison, au plaisir et à la liberté

Laurent Vacher a composé le texte du spectacle à partir du Souper des cendres (dans lequel Bruno met en scène le débat entre géocentrisme et héliocentrisme) et des minutes retrouvées de son procès. Cette partition conserve la veine rabelaisienne du texte original, où la farce comique se mêle à la réflexion philosophique la plus sérieuse. Elle offre à Benoit Di Marco l’occasion d’une traversée de la pensée de Bruno par sauts et gambades, entre considérations scientifiques et saillies drolatiques et tendres sur le cul des garçons et celui des filles, aussi plaisants à explorer que les chambres les plus secrètes des palais de la mémoire. Clément Landais et Philippe Thibault accompagnent le comédien en alternance et soutiennent le récit à la contrebasse. L’archet fait naître l’infini poignant de la douleur, le rire iconoclaste de cet impudent libertaire, qui refuse de servir d’autres maîtres que la raison, mais aussi les planètes et les soleils qui composent un ciel insondable, que seuls les abrutis peuvent confondre avec une toile peinte au plafond de la création. S’il fallait un héros à notre modernité défaite, pétrifiée dans la haine sectaire et le ressentiment servile, Giordano Bruno ferait fort bien l’affaire ! La scénographie minimaliste et le costume contemporain le suggèrent habilement : Benoit Di Marco semble parler à notre époque mieux encore qu’aux cacochymes du tribunal du Saint-Office. Ceux qui condamnent l’esprit libre sont dévorés par une peur ardente : leur victime sait que la raison du plus fort ne peut rien contre la force de la raison, sinon la priver de son véhicule corporel. Et l’on aurait tort de rire d’un Bruno fervent de métempsychose, car il y a fort à parier que son esprit follet a choisi le spectacle jubilatoire de Laurent Vacher pour se manifester à nouveau…

 

Catherine Robert

 

A propos de l'événement


Giordano Bruno, le souper des cendres
du samedi 20 novembre 2021 au samedi 15 janvier 2022
Théâtre de la Reine Blanche
2bis, passage Ruelle, 75018 Paris.

Mardi, jeudi et samedi à 19h. Tél. : 01 40 05 06 96. Durée : 1h.


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