Théâtre - Critique

Fraternité, Conte fantastique de Caroline Guiela Nguyen

Fraternité, Conte fantastique de Caroline Guiela Nguyen - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe


Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen

L’un des thèmes de prédilection de Caroline Guiela Nguyen est le temps, maître insaisissable de nos vies, dont on dit qu’il avance en conjuguant passé, présent et futur. Le temps et les manières qu’ont les hommes de faire lien, de se débrouiller avec la transmission et la perte, la mémoire et l’oubli. On se souvient de Saïgon, remarquable et bouleversant spectacle conçu entre France et Vietnam avec des comédiens professionnels et non-professionnels, nourri d’histoires douloureuses traversant les générations de 1956 à 1996.  Créé en 2017 au Festival d’Avignon, il fut aussi présenté à l’Odéon où la metteuse en scène est artiste associée. Comme Saïgon, Fraternité, Conte fantastique est imprégné de chagrins et de larmes, mais cependant moins ancré dans l’Histoire. Il nous transporte en effet dans un espace-temps fantastique, dans un « Centre de soin et de consolation », où se retrouve un groupe de personnes qui ont perdu un être aimé : enfant, épouse, frère, mère… Suite à une catastrophe, à une Grande Éclipse, la moitié de l’humanité a disparu. La prise en charge par le personnel invite notamment à enregistrer un message audio d’une minute trente destiné à la personne disparue, dans une cabine spéciale. La peine est lourde, les cœurs ralentissent à sa mesure et l’attente a littéralement figé le temps. Le cosmos même réagit à la douleur des cœurs et les astres freinent leur course. À cour, les écrans reflètent l’alignement de l’univers, scruté par une scientifique anglophone de la NASA en quête de remède. Tous attendent une nouvelle éclipse qui peut-être ramènerait les absents au présent de la vie. Dans un second temps, une solution proposée impose à chacune ou chacun d’effacer intégralement ses souvenirs de la personne aimée à l’exception de trois d’entre eux consignés par écrit, un protocole rigoureux et cruel effectué par une machine. Ce qu’exprime cette situation si extraordinaire, qui télescope invention du futur et hyperréalisme, c’est le besoin de considérer l’autre comme un « frère humain ».

Le soin comme condition de survie

Comme à l’accoutumée, le travail résulte d’une phase préliminaire d’immersion, par exemple au sein du Bureau du Rétablissement des Liens Familiaux de la Croix-Rouge, dont le but est de retrouver des personnes disparues. À nouveau, Caroline Guiela Nguyen implique dans son projet des comédiens professionnels et non-professionnels, d’une grande diversité d’âges, de cultures et de langues – français, arabe, anglais, vietnamien…  Tous sont pleinement engagés, même si la qualité de leur jeu est inégale. C’est un peu comme si le groupe même était le personnage principal de la pièce, dans une mise en valeur des relations qui se tissent entre ses éléments, mais au détriment de l’épaisseur de chaque protagoniste. Parce qu’elle est enracinée dans des états émotionnels plus que dans une histoire précise, la première partie de la pièce est trop étirée et diluée alors que la seconde, qui dénoue plus ou moins les fils du suspense, s’avère plus concentrée, plus tangible. Même si cette création est moins aboutie que Saïgon, la pièce confirme le talent de Caroline Guiela Nguyen et des membres de sa compagnie Les Hommes Approximatifs, qui créent un langage scénique singulier, une manière originale, révélatrice et touchante de se décaler du réel, de s’ouvrir à l’imaginaire. Précédée par Les Engloutis, court-métrage réalisé avec les détenus de la maison centrale d’Arles, la pièce sera prolongée par L’Enfance, la nuit, qui sera créée à l’automne 2022 à Berlin avec des comédiens de la Schaubühne et des enfants. À suivre donc !

Agnès Santi

A propos de l'événement


Fraternité, Conte fantastique
du samedi 18 septembre 2021 au dimanche 17 octobre 2021
Odéon-Théâtre de l’Europe
1 rue André Suares, 75017 Paris.

du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h. Tél : 01 44 85 40 73. Durée : 3h. Spectacle vu en juillet 2021 au Festival d’Avignon.


Également les 8 & 9 novembre au Parvis – Scène nationale Tarbes Pyrénées, du 23 au 26 novembre à la  MC2 : Grenoble, les 1er et 2 décembre au  Théâtre de l’Union – CDN du Limousin, du 8 au 11 décembre au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, du 15 au 18 décembre au  Théâtre de Liège, du 6 au 15 janvier au  Célestins – Théâtre de Lyon, du 23 février au 3 mars au Théâtre National de Bretagne – Rennes, du 9 au 11 mars 22 à  La Comédie – CDN de Reims, du 17 au 19 mars à  Châteauvallon – Scène nationale, du 24 au 26 mars à  La Criée – Théâtre national de Marseille, du 11 au 13 mai à La Rose des Vents – Lille 300 / Le Grand Sud


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