Danse - Critique

Franchir la nuit

Franchir la nuit - Critique sortie Danse Paris Chaillot - Théâtre national de la danse


Chor. Rachid Ouramdane

« Moi je peux me rappeler, debout près du mur, et les révolvers tiraient au-dessus de nos têtes […] Alors nous pourrons être des héros, juste pour un jour. » Ce n’est qu’à l’écoute de la dernière phrase que l’on prend conscience qu’il ne s’agit pas là des mots d’un réfugié mais des célèbres paroles chantées par David Bowie, traduites en français. Ainsi s’ouvre Franchir la nuit, nouvelle pièce de Rachid Ouramdane, après que l’image vidéo d’un jeune homme, en plan serré, longuement éclaboussé de mille goutes, a été projetée en fond de scène. Sur le plateau, baigné dans un clair-obscur et entièrement nappé d’eau, viennent à un rythme régulier mourir des vagues. Dos au rivage un danseur court. Une fuite effrénée, rageuse, le laisse sur place. Mais alors que ses pas claquent avec virtuosité le sol, et que l’on croit déceler un sourire sur son visage, on se surprend, avec un certain trouble, à penser à Singing in the Rain. Un peu plus tard il sera rejoint par une foule d’enfants. Et bien plus tard encore, de nouveau seul, ses mains frapperont en rythme l’eau. Est-ce un geste de désespoir ou un jeu d’enfant, au son de Knockin’ on Heaven’s Door, entonné par Deborah Lennie-Bisson dont le piano est posé au bord de la scène ?

L’exil à hauteur d’enfants

Bande-annonce de « Franchir la nuit » de Rachid Ouramdane from Théâtre de Chaillot on Vimeo.

Avec Franchir la nuit, le co-directeur du CCN2 Grenoble, connu pour ses chorégraphies à la frontière du documentaire, revient à un thème qui lui est cher : l’exil, s’intéressant cette fois aux plus jeunes réfugiés. Avec la délicatesse qui le caractérise, il convie aux côtés de ses cinq danseurs treize mineurs isolés venus d’Afrique ou d’Europe et une vingtaine d’enfants, pour interroger ces parcours accidentés et le regard que nous portons sur eux. En une dizaine de tableaux polysémiques, il évoque la violence, les souvenirs, l’espoir, la peur, l’entraide, les jeux si caractéristiques de l’enfance, la mort. Il le fait avec pudeur et subtilité, troublant notre perception. On s’interroge sans cesse. Les danseurs (tous formidables) s’étreignent-ils ou se battent-ils ? Se trouve-t-on sur une rive ou l’autre de la Méditerranée ? Avec son parterre d’eau qui jaillit en gouttes de lumière, à moins qu’il ne reflète les corps, Franchir la nuit est une pièce éminemment esthétique. Rachid Ouramdane y démontre une fois encore son talent pour gérer de grands ensembles. Mais à voir les jeunes migrants agiter la main au moment des saluts, l’un d’entre eux réclamer un selfie avec le chorégraphe tandis qu’une nuée d’enfants crient « Ra-chid Ra-Chid ! » lors du pot de première, on se dit que l’essentiel est peut-être ailleurs. Le grenoblois se dit convaincu que faire œuvre c’est aussi transformer le quotidien des personnes qu’il rencontre. Et de fait, plus encore qu’un spectacle sur les enfants contraints à l’exil, Franchir la nuit est un projet construit avec eux, pour eux.

 

Delphine Baffour

A propos de l'événement


Franchir la nuit
du samedi 15 décembre 2018 au vendredi 21 décembre 2018
Chaillot - Théâtre national de la danse
Place du Trocadéro 75016 Paris

A 19h45 et 20H30. Rens : 01 53 65 30 00.billetterie@theatre-chaillot.fr


Durée : 1h.


Également du 13 au 15 mars au Théâtre national de Bretagne - Rennes, le 22 mars au Théâtre de Lorient, le 28 mars à la Comédie de Clermont-Ferrand, le 4 avril à la Comédie de Valence.


Spectacle vu en avant-première à Bonlieu - Scène nationale d'Annecy.


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