Théâtre - Critique

Fractures (Strangers, Babies)

Fractures (Strangers, Babies) - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre ouvert


Théâtre Ouvert / Fractures (Strangers, Babies) / de Linda McLean / mes de Stuart Seide

A moins de connaître le fait divers atroce qui a inspiré Linda McLean pour écrire Fractures, difficile de deviner quel est le crime de May, – difficile, même, de savoir si cette jeune femme, qui s’obstine à la norme et que tous semblent renvoyer à la marge du pathologique, est une victime permanente ou un bourreau repenti sous surveillance constante. Un drame a eu lieu, la mort a frappé : May est à la fois le traumatisme et le symptôme. Mais les mots peinent à dire ce qui s’est passé, et le spectateur se retrouve presque en position d’analyste, devant examiner les paroles, les postures et les silences, pour essayer de comprendre pourquoi May est capable de s’apitoyer niaisement sur la mort d’un petit oiseau, tout en réclamant à un amant de passage de lui faire mal. Le texte de Linda McLean (traduit avec un soin scrupuleux par Sarah Vermande et Blandine Pélissier) joue des syncopes et des ellipses, et semble reproduire le flot confus d’une pensée intérieure rétive aux lois de la logique et du dialogue. D’évidence, le rapport à l’autre est défaillant, et May a beau multiplier les rencontres, elle demeure désespérément seule…

Girl next door

La mise en scène de Stuart Seide installe les comédiens dans la scénographie épurée de Philippe Marioge. La froideur clinique du décor suggère d’emblée la suspicion, qui ne cesse de grandir. Il y a quelque chose de trop propre, de trop clair et de trop limpide chez cette jeune femme attentive aux autres, amie des bêtes, épouse aimante et fille dévouée… Autour de May, soleil noir et mélancolique, gravitent cinq hommes : son mari, son père, un amant trouvé au hasard d’un site de rencontres, son frère et un assistant social. La lumière et le malaise croissent au fur et à mesure des scènes. Incarner May suppose de tout suggérer, sans rien dévoiler d’emblée. Sophie-Aude Picon excelle à composer ce personnage, véritable trou noir, absorbeur de lumière, à la fois frigide et bouillonnant, terrifiant et poignant. La comédienne est au service du texte, mesure ses effets, résiste au pathos dans lequel sombrerait un traitement psychologisant. La mise en scène de Stuart Seide est apparemment corsetée, mais sa forme maîtrisée prouve en fait la grande sagacité de ce brillant directeur d’acteurs : rien de la folie n’est jamais immédiatement perceptible. L’équilibre entre l’anodin et le menaçant est admirablement tenu : la surface étale et le grondement terrifiant des profondeurs insondables, le présent pacifique et le passé sanglant. Autour de Sophie-Aude Picon, girl next door angoissante, la distribution masculine fait merveille, toujours entre force et retenue. L’ensemble compose un spectacle inquiétant et dérangeant, mis en scène et interprété avec autant d’efficacité que de finesse.

 

Catherine Robert

A propos de l'événement


Fractures
du mercredi 20 mars 2013 au samedi 13 avril 2013
Théâtre ouvert
4bis, cité Véron, 75018 Paris.
mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ; samedi à 16h. Tél. : 01 42 55 55 50. Spectacle vu au Théâtre du Nord – Idéal – Tourcoing. Durée : 1h30.

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