La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -327-Les Centres dramatiques nationaux en péril

Abdelwaheb Sefsaf tire la sonnette d’alarme

Abdelwaheb Sefsaf tire la sonnette d’alarme - Critique sortie  Sartrouville Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
Abdelwaheb Sefsaf © C. Raynaud de Lag

Entretien Abdelwaheb Sefsaf

Publié le 26 novembre 2024 - N° 327

À la tête du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines depuis janvier 2023, Abdelwaheb Sefsaf s’inquiète de la fragilisation des Centres dramatiques nationaux.

En quoi les missions des Centres dramatiques nationaux sont-elles aujourd’hui mises en danger ? 

Abdelwaheb Sefsaf : Il est important de mesurer à quel point ces missions sont menacées, alors que les Centres dramatiques nationaux ont tant fait leurs preuves en termes de vitalité de la création, démocratisation culturelle, rayonnement territorial, renforcement du lien social… Les Centres dramatiques nationaux sont subventionnés par tout l’éventail des partenaires publics, c’est-à-dire l’État, la région, le département et la ville. On peut d’emblée souligner que les budgets des collectivités ont été récemment fragilisés par plusieurs facteurs. La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales en janvier 2023, dont les recettes revenaient aux collectivités, a entraîné une perte de ressources. Et la crise immobilière a réduit les revenus générés par les transactions – 4,5% du montant des ventes est versé au département, un taux qui pourrait être relevé à 5%. Mais ce qui aujourd’hui inquiète terriblement, c’est la baisse importante des sommes allouées aux collectivités territoriales par l’État – moins 5 milliards, alors qu’environ 70% du financement de la culture provient des tutelles locales. Même si le budget de la culture demeure stable à l’échelle de l’État, une telle coupe impacte fortement les territoires. Les collectivités, souveraines de leurs décisions, et dont je comprends les difficultés, risquent en effet de répercuter – et répercutent déjà – leurs pertes de ressources en diminuant fortement les aides attribuées aux structures culturelles. Face à des arbitrages complexes, elles peuvent d’autant plus faire ce choix que la culture, à l’inverse du champ social ou éducatif, n’est pas une de leurs « compétences obligatoires ». Aujourd’hui, sur les 38 Centres Dramatiques Nationaux répartis sur l’ensemble du territoire, une dizaine se déclare d’ores et déjà considérablement impactée, et ce ne sont que les premiers retours. On ne peut que redouter une aggravation catastrophique de la situation.

« Construire des liens structurants (…), cela prend beaucoup de temps, mais déconstruire, c’est extrêmement rapide. »

Qu’en est-il du département des Yvelines ?

A.S. : Le département des Yvelines est en difficulté. Pour le CDN de Sartrouville et des Yvelines comme pour la Scène nationale de Saint-Quentin-en Yvelines, les baisses annoncées sont considérables, à savoir 180000 euros pour la Scène nationale et, pour le CDN, 350000 euros. Une telle diminution met en péril le festival Odyssées en Yvelines, prévu en janvier 2026, biennale dédiée à la création pour l’enfance et la jeunesse qui commande et programme six créations, financée majoritairement par le département. Depuis 26 ans, ce festival est un axe fort de l’identité artistique du CDN, un rendez-vous majeur qui conjugue l’exigence de la création et sa diffusion au plus grand nombre, avec environ à chaque édition 45 communes, plus de 200 représentations et plus de 10000 enfants et adolescents touchés. Les coupes impactent directement l’emploi artistique, la production de spectacles, l’action et les droits culturels, avec des effets en cascade. Les suppressions de subventions signifient aussi la perte de compétences précieuses, notamment parmi les équipes d’intermittents fidèles et expérimentés. Elles compromettent des missions qui ont mis des années à se structurer. Annoncée en octobre 2024, la baisse concerne l’année 2025, durant laquelle il va falloir faire de la magie. C’est pourquoi nous demandons aux départements de soutenir les festivals pour que les choses reviennent à la normale à l’horizon 2026. Le Festival Odyssées en Yvelines est pour l’instant suspendu…

Quelles sont vos marges de manœuvre ?

A.S. : Nous sommes comptables et responsables de l’argent public, et nos marges de manœuvre sont réduites. Il faut dire que l’inflation – +19% en 10 ans – a entraîné mécaniquement pour les CDN une baisse du disponible artistique, c’est-à-dire du budget dédié à la création, et une augmentation des frais de fonctionnement (masse salariale, électricité, etc.). Paradoxalement, alors que les budgets sont en baisse, les statuts des CDN empêchent toute solution alternative comme une politique de mécénat ou la recherche de coproductions. Je ne dis pas que ces solutions constituent une réponse globale à la crise, mais elles permettraient de nous aider à fabriquer des spectacles, ce qui est au cœur de nos métiers. Changer ces statuts nous accorderait davantage d’autonomie. En outre, il est important d’interroger la relation entre les institutions culturelles et les décideurs politiques. La liberté de création peut être compromise par certaines craintes, certains présupposés, certaines pressions implicites ou explicites, qui peuvent aussi pousser à l’autocensure. Les CDN sont des outils forgés par des années de politique culturelle, par des moyens financiers et humains précieux. Construire des liens structurants, des processus solides de création et diffusion, cela prend beaucoup de temps, mais déconstruire, c’est extrêmement rapide.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines
Place Jacques Brel, 78500 Sartrouville.

Tel : 01 30 86 77 79.

www.theatre-sartrouville.com

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