Théâtre - Entretien /Cultures en territoire

Festival Barak’théâtre, rencontre avec Simon Pitaqaj

Festival Barak’théâtre, rencontre avec Simon Pitaqaj - Critique sortie Théâtre Corbeil-Essonnes parcs des quartiers de Corbeil-Essonnes


Festival/Corbeil-Essonne

Comment l’idée de ce festival est-elle née ?

Simon Pitaqaj : L’idée est née l’an dernier, alors que les théâtres étaient fermés partout, et encore plus à Corbeil-Essonnes, puisque chaque quartier y semblait complètement clos sur lui-même et privé de toute ouverture. Corbeil, jusqu’à présent, est une ville-dortoir. Le théâtre de Corbeil est très actif mais, jusqu’à l’année dernière, ce qui s’y faisait restait à l’intérieur. La frontière est étanche entre ceux qui y pénètrent et ceux qui n’y mettent jamais les pieds. Cette distinction n’est pas nouvelle, je le sais bien, mais dans cette ville, elle est particulièrement visible. Alors que je travaillais à Corbeil pendant le confinement, puisque j’y suis en résidence, j’ai proposé d’aller de quartier en quartier avec une structure mobile en bois, afin d’y amener un théâtre qui ne soit pas seulement un divertissement de rue ou un défilé de comédies légères ou de stand up, mais un théâtre tout ce qu’il y a de plus sérieux, semblable à celui qu’on jouerait dans une salle.

Comment vous êtes-vous organisés ?

SP. : Nous avons construit la Barak’théâtre, structure ouverte à la fois en intérieur et en extérieur, créant l’intimité nécessaire au théâtre. Sa jauge va de cinquante à deux cents personnes puisque cette structure permet la respiration en plein air. Une fois par semaine, tous les vendredis, de juillet à septembre, nous avons organisé des ateliers le matin et un spectacle le soir, au centre-ville, dans le quartier des Tarterêts et dans celui de Monconseil. Les habitants étaient ravis de découvrir cette structure installée en bas des immeubles ! Cet été, nous réitérons le projet en nous appuyant sur la réflexion suivante. Cette saison, il n’y a pas eu de théâtre dans les salles. Quand on a joué, c’était dans les lycées ou les maisons de quartier. Il faut donc ramener le théâtre vers la ville, non pas sous la forme du théâtre de rue mais avec des spectacles créés dans et pour la salle qui envahissent soudain la place publique et se la réapproprient pour raconter une histoire. Et tout est gratuit.

« C’est un pari qu’on lance, le risque d’une aventure. »

Comment les habitants de Corbeil ont-ils réagi ?

SP.  : Dans les quartiers, on n’a pas l’habitude de ça. Certains rencontraient le théâtre pour la première fois de leur vie. Nous ne proposons pas des spectacles spécifiques ou adaptés mais nous travaillons avec des compagnies par lesquelles la rencontre est possible parce qu’elles connaissent ces publics. La rencontre reste toujours délicate mais les gens sont accueillants parce qu’on leur propose de passer une belle journée. Les enfants viennent avec les parents aux ateliers du matin et l’échange commence ainsi. De la déambulation des marionnettes géantes à un théâtre de textes beaucoup plus ardu, tout se passe très bien. Nous nous installons sur la place publique, qui appartient à tous, c’est-à-dire à personne. Alors, bien sûr, nous allons faire un peu de bruit, nous allons même crier, les habitants vont être un peu bousculés, un scooter bruyant va passer dans la rue, mais on peut se rencontrer et on peut cohabiter : c’est un pari qu’on lance, le risque d’une aventure, et on retrouve ainsi l’aspect populaire du théâtre. Et c’est surtout le moyen de voir où on en est de notre capacité de rencontre.

 

Et où en sommes-nous ?

SP. : La période que nous avons traversée a bouleversé les repères. Comment le regard des jeunes a-t-il changé sur la culture et sur l’art ? Sont-ils – et sommes-nous – encore capables de laisser les portables éteints pendant une heure ? Comment les gens – et surtout les plus jeunes – peuvent-ils entendre qu’on leur demande de le faire alors que, pendant un an, on n’a pas arrêté de leur demander de se connecter ? C’est compliqué pour eux, pour nous, pour l’art vivant. Où en sommes-nous de nos identités ? Où va le mouvement qui s’est amorcé ? Comment comprendre que lorsqu’on dit à un gamin qu’il peut enlever son masque pour jouer, il préfère le garder en disant que ça le protège ? Normal, dira-t-on, après les mois qu’on a vécus ; mais inquiétant, aussi…

La rencontre permet donc autant de voir que de montrer ?

SP. : Oui, nous montrons des choses et nous observons. L’an dernier, c’était fort, parfois lourd, plein d’émotions. J’ai pu voir à la fois la joie des gens mais aussi leur résignation, parfois leur colère. C’est pour cela que j’ai choisi de monter cette année une esquisse du Festin pendant la peste, de Pouchkine. J’ai l’impression que le banquet paradoxal qu’il raconte est exactement à l’image de ce que nous vivons : un désir de festoyer en pleine rue alors que les maisons sont devenues des tombes. Dans les quartiers, beaucoup de gens ont perdu des proches. Beaucoup sont partis du jour au lendemain. Comme Monsieur Keita, qui jouait avec nous l’an dernier, qu’on a trouvé trop jeune à soixante-dix ans pour être vacciné, et qui a été emporté en un mois. Ma peine est immense quand je pense à lui, et je ne crois pas que l’on puisse aujourd’hui faire la fête en faisant comme si tout allait bien. La peur est vivante ; elle est là. Alors oui ! On va faire la fête, mais parmi les convives du festin, il faut qu’il y ait les portraits de ceux qui ne sont plus de la fête.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement


Festival Barak’théâtre
du mercredi 7 juillet 2021 au vendredi 3 septembre 2021
parcs des quartiers de Corbeil-Essonnes

Dans les parcs des quartiers de Corbeil-Essonnes. Les 7, 9, 16 et 23 juillet ; les 20 et 27 août et le 3 septembre 2021. Renseignements sur www.liriacompagnie.com


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