Théâtre - Critique

Faut qu’on parle !



« Faut qu’on parle ! »… C’est le genre d’injonction fouettée par la
colère, qui claque à la figure lorsque les malentendus ont miné tous les
ressorts de la communication, quand chaque mot ripe sur les ranc’urs mal
passées, et frappe, et blesse. Quand on espère pouvoir renouer le dialogue,
malgré tout. Faut qu’on parle, donc. Mais de quoi ? Hamid Ben Mahi reçoit dans
son appart, meublé modeste. Et il raconte. Son enfance raflée par un père
retourné en Algérie, une mère restée en France, l’adolescence coincée entre les
barres de la cité des Aubiers, dans la banlieue de Bordeaux, l’avenir bouché par
les préjugés, le racisme ordinaire. L’exclusion, les humiliations, la bêtise au
quotidien qui harcèle la différence. Pourtant, celui qu’une institutrice
surnommait Hamidou – c’est dire, a toujours tout bien fait : plus poli, plus
travailleur, plus docile, plus gentil’ et toujours plus saqué que les autres,
les blancs. Un « maghrébien » comme on dit. Il s’en est sorti : en découvrant le
hip-hop comme une brèche dans le gris béton, en jetant dans la danse la rage au
c’ur pour s’évader de l’ornière de la prédestination sociale et construire sa
propre histoire. Il taille la route à la force du poignet, passe par l’école de
Rosella Hightower à Cannes, gagne une bourse et s’envole pour l’école d’Alvin
Ailey à New York. Et devient danseur.

Sincérité touchante

Aujourd’hui, Hamid Ben Mahi parle « pour retrouver la mémoire, la dignité,
et l’attention des autres
 ». Comme déjà dans Chronic(s), un solo
conçu en 2002 avec Michel Schweizer, il effeuille l’album de sa vie, cette fois
avec la complicité du metteur en scène Guy Alloucherie. Et tandis que les
souvenirs amoncellent discriminations, injustices, existences gâchées, suicidées
du haut des tours, au fil d’anecdotes souvent amères, parfois drolatiques,
défilent les images des siens, de ses potes, de sa mère ou encore de son père à
Mostaganem. Hamid Ben Mahi touche par sa sincérité dans cet autoportrait ponctué
de (trop rares) intermèdes hip-hop. Toujours calme, déterminé, généreux, il
dénonce le racisme ambiant décomplexé, la prégnance des schémas coloniaux, les
ratés d’une intégration en panne. Jusqu’à se couler gentiment dans les clichés
du discours victimaire, jusqu’à occulter une réalité autrement plus complexe,
violente, dérangeante, que celle de la cité vue comme « une grande famille où
on dit bonjour à tout le monde, même à ceux qu’on n?aime pas. 
». Cette
vision casse certes l’image fantasmée des « jeunes de banlieues »,
nouvelle figure des « classes dangereuses ». Si l’intention est juste,
nécessaire, ce spectacle est vraiment trop comme il faut.

Gwénola David

Faut qu’on parle !, conception et texte d’Hamid Ben Mahi et Guy
Alloucherie, mise en scène de Guy Alloucherie, chorégraphie d’Hamid Ben Mahi, du
4 au 12 mai 2007, relâche lundi et mardi (les 4, 5, 9 et 12 mai à 20h30, les 10
et 11 mai à 14h30 et le 6 mai à 15h, au Théâtre national de Chaillot, place du
Trocadéro, 75016 Paris. Rens. 01 53 65 30 00 et
www.theatre-chaillot.fr.
Spectacle vu au Festival d’Avignon 2006.

A propos de l'événement




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