Théâtre - Critique

Face au mur

Face au mur - Critique sortie Théâtre


Dramaturge de la violence banalisée et des énigmes intimes, des lignes de faille occultes, enfouies, courant du monde jusqu’à l’individu, Martin Crimp s’est affirmé, depuis près de vingt-cinq ans, comme l’un des auteurs britanniques les plus importants de sa génération. Révélée en France par Nathalie Richard en 2002(1), son écriture singulière, jouant de contrastes et de complexités, déploie un humour d’une lucidité et d’une puissance étonnantes. Un humour qui peut donner le vertige. Car, les mises en perspective que cette — fausse — légèreté permet de dessiner mènent peu à peu le spectateur, comme subrepticement, au bord d’à-pics périlleux. Comme l’a écrit l’universitaire et traductrice Elisabeth Angel-Perez, l’univers de Martin Crimp est à la fois « ancré dans le concret du réel » et « toujours sur le fil, toujours prêt à dérailler, à s’abîmer dans l’absurde ». C’est précisément cette zone de mouvance et d’incertitude, cet espace frontalier, que Hubert Colas ne parvient pas à investir. Plaçant à distance les textes de l’auteur, les cinq comédiens réunis par le metteur en scène usent d’une même forme d’ironie, invariablement, du début à la fin de la représentation.
 
Un théâtre entremêlant violence et humour
 
Cette façon affectée d’appréhender les trois pièces de Martin Crimp (qui flirte avec un type de cabotinage) finit par étouffer les grondements et les secousses qui les traversent, qui les composent. Pourtant, la diction musicale, dentelée, de Thierry Raynaud et Manuel Vallade commence par séduire. Le texte sonne, surprend, fait sourire, sculpté par les deux comédiens qui établissent un rapport habile avec cette langue saccadée. Mais, le procédé se muant en système, le triptyque conçu par Hubert Colas ne parvient pas à dépasser le cadre d’un spectacle gentiment piquant, aseptisé, totalement inoffensif. Ce Face au mur fuit, en effet, toute forme d’étrangeté et d’ambiguïté, ne nous laisse entrevoir aucune possibilité de glissement, de dérapage ou de perte de contrôle. C’est ainsi toute la profondeur et toute la puissance de ces pièces — certes drôles mais de même glaçantes, ténébreuses, intrigantes, fantasques, énigmatiques… — qui finissent par échapper à ce spectacle. Un spectacle dont on sort sans grand bouleversement, avec la sensation frustrante d’avoir été tenus à l’écart d’une œuvre beaucoup plus dense et secrète que cette mise en scène ne le laisse apparaître.
 
Manuel Piolat Soleymat

(1) Le Traitement, Théâtre national de Chaillot.
 

Face au mur (Ciel bleu ciel, Face au mur, Tout va mieux), de Martin Crimp ; texte français d’Elisabeth Angel-Perez ; mise en scène et scénographie de Hubert Colas. Du 29 octobre au 27 novembre 2008. Du mercredi au samedi à 21h00, le mardi à 19h00, le dimanche à 16h00. Théâtre National de la Colline, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44 62 52 52.

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