Théâtre - Critique

End/Igné

End/Igné - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville


Théâtre de Belleville / texte de Mustafa Benfodil / adaptation et mes Kheireddine Lardjam

« En littérature comme dans mes articles pour le quotidien El Watan, je remplis les blancs de la mémoire algérienne. Je documente ce que taisent les récits dominants ». Ainsi Mustafa Benfodil se présentait-il à un public venu nombreux l’écouter au Théâtre de Belleville le 7 octobre 2018 où, pour accompagner son spectacle End/Igné, Kheireddine Lardjam organise jusqu’au mois de décembre une série de rencontres consacrée aux dramaturgies algériennes francophones actuelles. Un champ littéraire que le metteur en scène de la compagnie El Ajouad travaille à sortir de la méconnaissance dont il souffre aujourd’hui. Aussi bien en Algérie, où les pièces de Mustafa Benfodil ne passent pas les comités de censure, qu’en France où son œuvre est encore assez rarement portée sur scène. En partie sans doute du fait de la mémoire encore douloureuse que remue l’auteur. Cela, dit-il, « en tentant de faire cohabiter deux ‘’je’’ dans l’écriture. L’un personnel, qui peut être narcissique, voire bourgeois ; l’autre citoyen, lié à la réalité collective de l’Algérie ». Dans cet entre-deux, Mustafa Benfodil développe une voix singulière que Kheireddine Lardjam considère comme l’une des plus fortes de l’Algérie contemporaine. Après Les Borgnes (2012), épopée familiale sur les traces laissées par la guerre d’Algérie, End/Igné est le fruit de la seconde collaboration entre les deux artistes, et ne sera pas la dernière.

Autopsie de l’Algérie

Dans cette pièce, les souffrances de la jeunesse algérienne sont données à voir à travers le personnage de Moussa, l’unique préposé à la morgue d’un bled perdu du nom de Balbala. Interprété par Azeddine Benamara, compagnon de longue date de Kheireddine Lardjam, celui-ci tue le temps en causant avec ses cadavres trop nombreux. En tentant de déguiser la mort en une blague un peu vaseuse mais quand même assez drôle. Et pourquoi pas en roman, comme lui avait suggéré son copain Aziz. Lequel, au milieu du spectacle, rejoint les compagnons de Moussa qui perd alors tout sens de l’humour. Aziz s’est immolé. Écrit en réponse à une commande du metteur en scène, End/Igné fait évidemment penser aux Printemps arabes, déclenchés par le suicide par le feu du Tunisien Mohamed Bouazizi. Nourri d’une connaissance acquise par l’auteur lors de reportages pour le quotidien El Watan, le texte aborde son sujet tragique avec une distance que le comédien ne parvient pas toujours à traduire sur le plateau d’une manière convaincante. Le fait que, pour nourrir son projet littéraire, Moussa enregistre ses monologues avec un dictaphone ne suffit pas non plus à justifier tous les cris et l’agitation déployée sur scène. Sans doute en partie liée, le 7 octobre, à l’angoisse de la première. Les quelques arrêts nets qui interrompent cette frénésie gagneraient à être plus longs, et les moments de colère moins tonitruants. Plus nuancés. À l’image du texte de Mustafa Benfodil qui, cinq ans après sa date d’écriture, n’a rien perdu de sa force ni, hélas, de son actualité.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement


End/Igné
du dimanche 7 octobre 2018 au mardi 27 novembre 2018
Théâtre de Belleville
Passage Piver, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris

Les lundis et mardis à 19h15 et le dimanche à 15h. Tel : 01 48 06 72 34. www.theatredebelleville.com


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