Avignon - Entretien Robert Bouvier

Eloge du questionnement

Eloge du questionnement - Critique sortie Avignon / 2012


« Doute pourrait s’appeler aussi A chacun sa vérité !  »
 
Quelle est la nature de ce doute mis en forme par John Patrick Shanley ?
Robert Bouvier : Cette pièce traque les affres que connaissent au sein d’une école catholique quatre personnages confrontés à la tourmente d’une rumeur qui vient bouleverser leur vie. La directrice stricte Sœur Aloysius (Josiane Stoléru), Sœur James (Emilie Chesnais), jeune et spontanée, Mme Muller (Elphie Pambu), mère d’un pensionnaire dont le Père Flynn (moi-même) est trop proche selon la directrice. Doute pourrait s’appeler aussi A chacun sa vérité ! Shanley montre combien il est difficile de traquer l’absolue vérité. Toute situation peut être analysée selon des approches divergentes. Le spectateur doit pouvoir choisir de s’identifier à un personnage plutôt qu’un autre, et de se projeter dans une interprétation des faits plutôt qu’une autre. Il m’importe vraiment de laisser ouverts tous les possibles suggérés par l’histoire. Y compris celui d’une manipulation exercée consciemment ou non entre les personnages, ce qui est très riche pour un metteur en scène qui lui aussi aborde un texte avec ses propres grilles de lecture, ses obsessions, son intime sensibilité et peut s’amuser à privilégier tantôt une vision tantôt une autre, ou même briser brutalement l’illusion qu’il a voulu procurer.
 
Quelle scénographie mettez-vous en place ?
R. B. : La scénographie devrait pouvoir s’apparenter successivement à l’univers mental de chaque protagoniste. Pour ce texte tout en nuances et très subtil, j’imagine un espace mouvant qui, comme à travers un kaléidoscope, peut soudainement changer d’aspect. Et j’utilise les éclairages pour cette histoire où l’on se laisse peut-être éblouir ou aveugler, où l’on tente de mettre en lumière ce qui veut rester dans l’ombre.
 
Quelle place a le domaine religieux dans votre mise en scène ?
R. B. : La pièce dépasse largement le cadre du domaine religieux pour s’interroger surtout sur la transmission, l’éducation. Shanley n’a pas voulu faire le procès de la communauté religieuse, il montre simplement que là comme ailleurs il est dangereux de vouloir assurer son autorité par des règles trop strictes, basées sur l’intolérance et la peur du changement. La belle audace de ce récit est d’ancrer justement le thème du doute dans un monde où la foi devrait sembler inaltérable. Quand un prêtre dans son sermon ose confronter à sa croyance ses moments d’incertitude, il bouleverse l’esprit de ceux qui viennent chercher en lui un sentiment apaisant de sécurité. Ce n’est pas sa conviction religieuse qu’il érige en modèle mais au contraire son désir de remise en question. Shanley montre que dans l’instant crucial du doute on peut choisir de renouveler son humanité, son credo ou se conforter dans le mensonge, la crédulité. En confessant ses propres faiblesses, ses propres interrogations, le Père Flynn dérange les consciences de ses paroissiens mais rend ces derniers plus responsables, plus courageux. Il fait l’éloge du questionnement à la manière des anciens qui prônaient le doute comme une sagesse. Ce qui me plaît beaucoup, c’est que Shanley laisse aussi les spectateurs dans le doute à la fin de l’histoire et les oblige à assumer cette sensation inconfortable où le dernier mot n’est pas donné.

Propos recueillis par Agnès Santi


Avignon Off. Théâtre du Girasole, 24bis rue Guillaume Puy. Du 7 au 28 juillet à 20h20, relâche les 17 et 24. Tél : 04 90 82 74 42.
 
Doute / Théâtre du Girasole
De John Patrick Shanley / trad. Dominique Hollier / mes Robert Bouvier

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