Avignon - Critique

« Écrire sa vie » : Pauline Bayle explore le difficile métier de vivre, entre incertitude et chaos

« Écrire sa vie » : Pauline Bayle explore le difficile métier de vivre, entre incertitude et chaos - Critique sortie Avignon / 2023 Avignon Cloître des Carmes


Cloître des Carmes / d’après l’œuvre de Virginia Woolf / adaptation et mise en scène Pauline Bayle

Pauline Bayle puise dans l’œuvre de Virginia Woolf pour raconter le destin d’une bande d’amis, entre éblouissement de l’enfance et désenchantement de l’âge adulte. Le public est accueilli dans la salle à grand renfort de citronnade et de confidences exaltées. On est convié à la fête donnée en l’honneur de Jacob, qui revient de guerre, et pour lequel on a préparé un banquet, des discours et une chanson reprise des Beatles, qui l’invite, comme dans Hey Jude, à laisser entrer dans son cœur les paroles d’une chanson triste pour la transformer en force de vie. Le cloître des Carmes évoque l’abbaye de Thélème, où des optimates bien nés peaufinent leur formation, ou celle de Cauterets, où Marguerite de Navarre réunit des amis éloquents pour tromper l’ennui du confinement. On pense évidemment à la récente pandémie, qui a réduit les artistes au silence et la population à l’introspection : entre l’angoisse de vivre et la peur de mourir, que faire de nos vies ?

Lost in translation

Sur l’océan déchaîné, seul résiste le frêle esquif de l’amitié. Nora (Hélène Chevallier), Tristan (Guillaume Compiano), Judith (Viktoria Kozlova), David (Loïc Renard), George (Jenna Thiam) et Céleste (Charlotte van Bervesselès) attendent Jacob, sorte d’idéal du moi. Il cristallise à la fois les pulsions positives des personnages et leur fantasme de toute-puissance infantile. Mais Jacob, à l’instar de Godot, ne vient pas, ou plutôt, rentre pour mourir. Après, il faudra faire sans, c’est-à-dire, comme toujours, faire avec, nonobstant ceux qui croient que le deuil est surmontable… Les comédiens réunis par Pauline Bayle sont poignants dans leurs envolées lyriques et leurs incertitudes, leurs logorrhées et leurs difficultés à fonder leur identité, entre atermoiements existentiels et impossibilité à se reconnaître dans le regard de l’autre. Si Pauline Bayle, avec ce spectacle,  vise à dresser le portrait d’une époque et d’une génération, force est d’admettre qu’entre douceur et douleur, fragilité des engagements et amertume du punch, le vague à l’âme domine. Le monde ne va pas bien. Le théâtre nous alerte. Si la littérature ne suffit pas à nous en consoler, peut-être alors faudra-t-il agir. En cela, le spectacle de Pauline Bayle pourrait être vu comme un appel aux retrouvailles avec le politique.

Catherine Robert

A propos de l'événement


Écrire sa vie
du samedi 8 juillet 2023 au dimanche 16 juillet 2023
Cloître des Carmes
Place des Carmes

à 22h ; relâche le 11. Tél. : 04 90 14 14 14. Durée : 2h.


A lire aussi sur La Terrasse

  • Avignon / 2023 - Théâtre - Agenda

« Frankenstein, le cabaret des âmes perdues » théâtre musical ou l’autrice Mary Shelley revisite revisite son œuvre à l’aune de sa vie

Variation à partir du texte de Mary Shelley, [...]

Du vendredi 7 juillet 2023 au 26 juillet 2023
  • Avignon / 2023 - Théâtre - Agenda

« Home movie » de Suzanne Joubert, mis en scène par Jérôme Wacquiez raconte la silencieuse montée du repli sur soi dans un groupe où chacun ne parvient plus à accepter la différence

Le refus de la différence, le repli sur soi [...]

Du vendredi 7 juillet 2023 au 29 juillet 2023
  • avignon 2023 - Danse - Critique

Sofiane Chalal : une « Part d’ombre » à creuser, forçant l’admiration

Un corps hors normes peut-il danser ? C’est [...]

Du vendredi 7 juillet 2023 au 26 juillet 2023