Théâtre - Critique

Disgraced (Exclus), d’Ayad Akhtar, traduction de Pierre Laville, mise en scène de Daniel Benoin

Disgraced (Exclus), d’Ayad Akhtar, traduction de  Pierre Laville, mise en scène de Daniel Benoin - Critique sortie Théâtre Antibes Anthéa


d’Ayad Akhtar / mise en scène de Daniel Benoin

Le metteur en scène et directeur de l’Anthéa, Daniel Benoin, a longtemps porté ce projet de création qui lui tenait particulièrement à cœur et qui a peiné à se concrétiser pour de multiples raisons indépendantes de sa volonté. De sa ténacité, il n’y a qu’à se réjouir. Elle nous vaut, en premier lieu, de découvrir une pièce d’envergure qui a valu à son auteur, le dramaturge américano-pakistanais, Ayad Akhtar, le prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale en 2013. Entrelaçant le politique et l’intime, éclairant la manière dont le premier travaille le second en montrant, sans ambiguïtés, les ravages très concrets induits par ce lien auquel nul ne saurait échapper, le drame en un acte et quatre tableaux met en jeu la question des identités. Et de l’identité. Disgraced, dont l’action est située dans l’Amérique post-11 septembre, place au cœur de l’intrigue Amir Kapoor, avocat d’affaires d’origine pakistanaise, membre d’un grand cabinet new-yorkais, mal à l’aise avec ses origines. La descente aux enfers de ce « héros » digne d’un personnage tragique fait intervenir quatre autres protagonistes : Emily, sa femme-trophée, artiste américaine « de souche » déclarant un intérêt particulier pour l’art islamique, Hussein, le neveu, musulman pratiquant, Isaac, juif, influent conservateur d’art, et son épouse, Jory, avocate afro-américaine membre du même cabinet qu’Amir. Un dîner entre amis aux thèmes choisis – l’origine ethnique, la religion, la politique, le sexe – fait littéralement exploser les non-dits, les dénis et les faux semblants.

Une mise en scène opératique

En signant la mise en scène de cette pièce qui est, pour lui, « une forme de retour à un théâtre plongé dans le monde contemporain et qui le regarde avec acuité et sans complaisance », Daniel Benoin montre le meilleur de ce qui l’a toujours inspiré de manière privilégiée. Le spectacle, dans sa dimension opératique, est entier. Et ce dès le premier moment. Le décor de ce huis-clos tragique, un loft meublé « upper class » avec vue panoramique sur Manhattan, ne se défera, de l’intérieur, qu’à l’épilogue. La temporalité est plastiquement maîtrisée grâce à une succession de tableaux, projections numériques hybrides, imaginées pour scander les différentes scènes. Le travail conjoint de deux compagnons de route du metteur en scène, le scénographe Jean-Pierre Laporte et le vidéaste Paulo Correla, fait son œuvre. Une partition musicale inédite accentuée rock redouble les effets immersifs. Une plongée orchestrée par des acteurs de premier plan, que sont Sami Bouajila, César du Meilleur Acteur dans Un Fils, et formidable Amir de Disgraced, Alice Pol (Emily), Olivier Sitruk (Isaac), Mata Gabin (Jory), Adel Djemai (Hussein). Tous portés par cette interrogation qu’ils parviennent à incarner chacun dans leur singularité : pour le meilleur et pour le pire ne sommes-nous pas tous réduits, par notre lâcheté même dans le désir de nous conformer, à ce que nous représentons ?

Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens

 

A propos de l'événement


Disgraced (Exclus)
du vendredi 28 mai 2021 au samedi 29 mai 2021
Anthéa
260, avenue Jules Grec, 06 600 Antibes.

Rens 04 83 76 13 00. Durée : 1h30. Vue en sortie de résidence à Anthéa, Théâtre d’Antibes, le 28 mai 2021. Tournée en cours


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