Théâtre - Critique

Denise Chalem s’inspire de Kamel Daoud et crée « Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute » : la liberté comme un terrain d’entente

Denise Chalem s’inspire de Kamel Daoud et crée « Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute » : la liberté comme un terrain d’entente - Critique sortie Théâtre Paris Le 13ème Art


Le 13e ART / d’après les chroniques de Kamel Daoud publiées au Point / texte et mise en scène Denise Chalem

Qu’il vienne des Monts d’Irhane ou de la colline de Chablis, le goût du vin est un plaisir partagé par Zireg et Pierre, musicien parisien que l’écrivain algérien accueille chez lui, à Mostaganem, dans sa maison de famille en bord de mer. À travers leur dialogue qu’elle a créé à partir des chroniques du journaliste et écrivain Kamel Daoud, Denise Chalem vise à célébrer une fraternité rieuse qui ne se complaît pas dans la fréquentation du même, qui revendique non seulement la possibilité mais aussi et surtout la jouissance d’une amitié sincère malgré les différences et désaccords. Ce qui d’emblée s’affirme par le choix du vin comme fil rouge de leur entente. L’écriture aussi les rassemble, celle de la musique pour l’un, langage universel et immédiatement beau, celle de chroniques et récits pour l’autre, qui au détour de chaque mot peuvent provoquer débats et conflits. Auteur rendu célèbre avec Meursault, contre-enquête – auquel la pièce doit son titre poétique et ambivalent –, roman qui donne la parole au frère de « l’arabe » tué sur une plage dans L’Étranger de Camus, Kamel Daoud comme Zireg chérit la langue comme instrument de rencontre avec l’Autre, comme tentative d’émancipation contre les impasses et les violences.

Pour la liberté de l’esprit et des sens

 Dans la pièce de Denise Chalem, la liberté – ou le désir de liberté – sied à l’esprit autant qu’au corps : les deux hommes dénoncent particulièrement la domination des hommes qui entrave le droit des femmes à disposer de leur corps. Zireg, enfant de la guerre civile, aujourd’hui amer, solitaire, parfois en colère, dénonce les dérives de la religion, et singulièrement d’un islamisme mortifère qui emprisonne le corps des femmes. Inutile de rappeler à quel point dans notre époque de crispations combien d’indignations Kamel Daoud a suscitées chez les méchants et petits esprits, qu’il s’agisse des racistes ordinaires qui considèrent l’islam comme source de tous les maux ou des accusateurs qui brandissent l’islamophobie à tout va en ignorant les méfaits de l’islamisme. De manière brève mais significative, une femme s’immisce dans la partition, incarnée avec force et énergie par Sarah-Jane Sauvegrain, rendant palpables le désir puissant d’une liberté rêvée et la chape de plomb des empêchements. Si la confrontation du duo saisit par sa justesse lors de certaines scènes , elle s’apparente à d’autres moments à une joute de paroles contradictoires un peu trop convenue. Les deux interprètes, qui au fil des représentations gagneront en fluidité, font preuve d’une belle complicité. Le chevronné Thibault de Montalembert, parfait dans le rôle de Zireg, mais aussi de manière plus inattendue le trompettiste Ibrahim Maalouf dans celui de Pierre, souple et nuancé, dont on apprécie les très beaux moments de musique, à la trompette ou au piano. À l’écoute du texte, où devisent ces deux hommes reliés par notre commune Méditerranée, nous vient à l’esprit le slogan des si courageuses femmes iraniennes résistant aux mollahs : « Femme, Vie, Liberté ».

Agnès Santi

A propos de l'événement


Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute 
du mardi 27 février 2024 au dimanche 31 mars 2024
Le 13ème Art
Centre commercial Italie Deux, 30 Place d’Italie, 75013 Paris

A 20h30. Tél : 01 48 28 53 53. Durée : 1h30


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