Cosi revisited

Pour les dix ans de sa compagnie lyrique Opéra Fuoco, fidèle du Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines où il joue et crée depuis six ans en explorant les répertoires des 18 et 19e siècles, le chef d’orchestre David Stern (fils d’Isaac, l’immense violoniste) a voulu revisiter le dernier opéra de Mozart pour remonter aux sources de la dimension psychologique de ses personnages. « Cosi est  l’une des approches les plus subtiles de la psychologie que l’on peut trouver dans l’opéra, c’est pourquoi je me pose toujours des questions sur les comportements et les motivations de ses protagonistes. Afin d’essayer d’approfondir ma compréhension des rôles, je me suis souvent demandé ce qui exactement avait conduit les personnages à devenir ceux que nous présente Da Ponte. Mon instinct me disait de remonter le temps pour tenter de découvrir les adolescents et jeunes adultes qu’ils furent » explique Stern qui a judicieusement pensé à Eric-Emmanuel Schmitt pour construire le livret du projet.

Ambiguïté des sentiments

« Que s’est-il passé dix ans avant l’action de Cosi fan tutte ? »  se questionne le romancier. « Du côté des personnages mûrs, on peut se poser des questions. Pourquoi Don Alfonso est-il devenu ce philosophe sceptique, blasé, qui ne croit plus en l’amour ? Pourquoi Despina estime-t-elle que tous les hommes sont interchangeables ? Quelles blessures justifient leur cynisme ? Du côté des jeunes gens, les questions affluent aussi… Pourquoi Fiordiligi et Dorabella sont-elles troublées lorsqu’elles se trouvent en face du fiancé de l’autre ? Pourquoi les garçons, Guglielmo et Ferrando, sont-ils aussi confiants, en eux et en leurs fiancées ? Le livret retrouve les thèmes mozartiens : l’ambiguïté des sentiments, l’ivresse sensuelle généralisée, la naïveté trompée, la ruse effrénée… » explique Eric-Emmanuel Schmitt qui insiste sur sa volonté de ne pas tomber dans le pastiche mais « de tenter d’établir un rapport du présent au passé équivalent à celui de la musique composée par Nicolas Bacri ». De son côté, au diapason, Bacri ne souhaite pas « refaire du Mozart » mais plutôt comme Prokofiev dans sa Symphonie classique « se remettre dans le contexte de l’époque du compositeur afin de créer une œuvre nouvelle dont l’esthétique, plus que le langage, tiendrait compte de la plupart des tenants et aboutissants en vigueur au moment où Mozart écrivait ses opéras ». Une aventure captivante.

Jean Lukas