Théâtre - Critique

Convulsions de Hakim Bah, mis en scène par Frédéric Fisbach

Convulsions de Hakim Bah, mis en scène par Frédéric Fisbach - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre ouvert


texte de Hakim Bah / mes Frédéric Fisbach

Toute la solennité de la tragédie antique en prend un coup dans cette pièce écrite par Hakim Bah. Jeune auteur d’origine guinéenne, Hakim Bah s’inspire en effet, dans Convulsions, du mythe des deux frères Thyeste et Atrée, porté au théâtre par Sénèque. Un mythe des plus violents de notre héritage grec, puisqu’il raconte notamment comment, lors d’un banquet funeste, Atrée fait manger à Thyeste ses propres enfants ! Mais point de rois ni de dieux dans cette version de Bah, qui place l’action on ne sait où, potentiellement un peu partout dans notre réalité mondialisée, même si l’auteur déclare s’être inspiré de sa propre jeunesse africaine. Pour la porter sur scène, Frédéric Fisbach choisit d’ailleurs une distribution d’horizons divers, tant théâtraux que géographiques, et fait tourner les rôles entre les comédien.nes, de manière à ce qu’on éprouve la griserie de s’y perdre et que l’on s’y retrouve tout à la fois. Les accents, les manières de jouer sont donc divers, dans une action qui progresse par ellipses et se concentre autour d’épisodes clé, conjuguant une exceptionnelle intensité dramatique et une violence à la fois insoutenable et déréalisée. En effet, un.e narrateur.trice transforme l’action qui se déroule sous nos yeux en un récit, porté le plus souvent avec le flegme d’un huissier, ce qui crée une mise à distance drôle et bienvenue, au regard de l’horreur qui se déploie.

Nul besoin d’être un puissant pour faire souffrir

Avec en toile de fond les conflits de fratrie, la violence domestique endurée par les femmes, les tromperies ordinaires, le rêve de l’émigration ou encore l’omniprésence des écrans dans notre réalité, l’histoire revisitée de Thyeste et Atrée s’inscrit dans un quotidien moderne mais décalé, où un voisin vient tout naturellement régler son compte à l’autre, fusil à la main, simplement parce qu’il a séduit sa femme. On laissera les puristes regretter une banalisation du tragique pour souligner les qualités d’une écriture vive, à la fois drôle et sans concession, qui rend réelles et palpables quelques-unes des horreurs de notre monde. Nul besoin ici d’être un puissant, un noble, pour souffrir et faire souffrir. La violence tragique coule dans les veines de tout un chacun et se transmet via les structures d’une société patriarcale et inégalitaire, sources ici répertoriées de l’éternelle malédiction. Dans une mise en scène simple et dépouillée, Frédéric Fisbach fait donc passer les rôles de l’un à l’autre, puisque le malheur essaime à travers le monde et à travers les temps. Mais il permet aussi à chaque comédien.ne de donner ainsi à ressentir, à sa manière, toute la puissance évocatrice de la parole, qui n’a pas besoin d’images pour exister, et existe peut-être même encore mieux sans. Un choix simple et ingénieux qui met en place un théâtre remarquablement singulier dans le sens où le tragique y cohabite avec la dérision, où les deux même s’alimentent l’un l’autre. A découvrir.

Eric Demey

A propos de l'événement


Convulsions de Hakim Bah, mis en scène par Frédéric Fisbach
du vendredi 18 janvier 2019 au samedi 9 février 2019
Théâtre ouvert
4 bis Cité Véron, 75018 Paris

Le mardi et le mercredi à 19h. Relâche le dimanche et les lundi 27 et 4 février. Tel : 01 42 55 74 40. Durée : 1h30.


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