Théâtre - Critique

Clio



L’atmosphère est des plus sépulcrales. On aperçoit, en fond de scène, au sein d’une obscurité compacte, la silhouette d’un grand arbre effeuillé. Six cloches tombent des cintres. Elles répondront, bientôt, au glas lent et régulier qui, à divers moments de la représentation, retentit à nos oreilles. Clio fait son apparition, une chaise à la main. Une chaise qu’elle traîne derrière elle, provoquant soulèvements de poussière et crissements de gravier. Le corps plié en deux, de longs et épais cheveux gris recouvrant entièrement son visage, la muse de l’histoire n’a rient de commun avec la jolie jeune fille couronnée de lauriers qu’a peinte Vermeer dans son Allégorie de la peinture. Ici, Clio est une vieille femme. Une vieille femme acariâtre que les metteurs en scène Valérie Aubert et Samir Siad ont imaginé en gardienne d’une barrière séparant le monde du vivant de celui des morts. Venue délivrer une méditation amère sur les mystères du temps et la complexité du rapport à l’œuvre d’art, cette Clio à la voix éraillée (interprétée par Samir Siad) déclame et vocifère, pendant que deux présences fantomatiques (Cédric Altadill et Serge Nawrocik) hantent le plateau.

Le lyrisme d’une cérémonie mortuaire

Tout cela prend immédiatement des airs de cérémonie mortuaire aux accents lyriques et solennels. Se drapant dans des attitudes et des intonations emphatiques, Samir Siad donne corps à un personnage outrancier dont les poses viennent, très vite, comme parasiter l’accès à l’œuvre de Charles Péguy. Car ce texte d’une extrême densité – déployant d’incessantes répétitions, de longues et belles suites de digressions – aurait sans doute mérité davantage de légèreté et de dépouillement. Tout au contraire, le traitement lourdement illustratif de cette mise en scène confère quelque chose de daté à Clio. Comme si l’écriture flamboyante du poète était tassée plutôt que rehaussée, obscurcie plutôt qu’illuminée par le théâtre qui s’emploie aujourd’hui à l’extirper de l’oubli. Un théâtre qui, bien sûr, en luttant contre la méconnaissance qui touche l’œuvre de Charles Péguy, remplit l’un des objectifs qu’il s’était fixé. Mais ce faisant, il en donne une image lointaine, presque désuète. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de la meilleure façon pour ramener cette œuvre à la vie… 

Manuel Piolat Soleymat


Clio, d’après Charles Péguy (texte publié aux Editions Gallimard) ; adaptation et mise en scène de Valérie Aubert et Samir Siad. Du 26 mars au 7 avril 2012. Les lundis, mardis, vendredis et samedis à 20h30, les dimanches à 15h30. MC93 Bobigny, 1, boulevard Lénine, 93000 Bobigny. Tél : 01 41 60 72 72 ou sur www.mc93.com. Durée : 1h25.

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