Théâtre - Critique

Cap au pire de Samuel Beckett, mis en scène Jacques Osinski

Cap au pire de Samuel Beckett, mis en scène Jacques Osinski - Critique sortie Théâtre Paris Athénée Théâtre Louis-Jouvet


Reprise / de Samuel Beckett / mes Jacques Osinski

Un homme debout, immobile, bras le long du corps, pieds nus, tête inclinée, au seuil d’un carré de lumière. « Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger. » Avant la fin définitive, la voix de cet homme dit la tentative de dire, comme une obligation et une impossibilité à la fois. Avec un entêtement sans bornes et une ironie sans appel. C’est insensé, navrant, épuisant, douloureux même, mais… c’est ainsi. « Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore. Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit. » Cap au pire fait état du ratage, évidemment sans s’en émouvoir. C’est l’un des derniers textes de Samuel Beckett, publié en 1983 sous le titre Worstward Ho (rappelant paraît-il le titre du roman Westward Ho !(1855) de Charles Kingsley) et traduit de l’anglais par Edith Fournier en 1991. Inutile de dire qu’un tel texte, non théâtral et écrit pour être lu, représente un immense défi pour un acteur. Quelque vingt ans après La Faim de Knut Hamsun, et sept ans après Le Chien, la nuit et le couteau de Marius von Mayenburg, Jacques Osinski a souhaité travailler à nouveau avec Denis Lavant, fin lecteur capable de redoutables prouesses théâtrales. Il relève le défi avec sobriété et maîtrise, évitant l’écueil de jouer de manière trop appuyée sur les effets de sa voix d’acteur si singulière.

Voix tenace et corps immobile

Le metteur en scène conçoit la pièce comme une performance contemporaine, une expérience nourrie de sensations plurielles. On ne peut en effet que se défaire du confort du sens et en quelque sorte lâcher prise afin d’entrer dans l’écriture. L’enjeu est de parvenir dans cette immobilité contrainte à faire entendre malgré tout l’humanité profonde au-delà du dire, au-delà de cette lutte acharnée du langage qui se construit et se déconstruit tout à la fois. Car ici, contrairement aux œuvres précédentes de l’auteur irlandais, la veine burlesque a quasi disparu, tout comme les accessoires : rien pour se raccrocher au réel, se raccrocher au temps, et exprimer l’obstination à vivre. Là est peut-être la principale difficulté de la mise en scène : il n’est pas aisé pour le spectateur d’atteindre malgré tout l’humanité fragile, de s’engager, au-delà de cet exercice si virtuose et si implacable de la profération. L’aventure est extrême, car les mots qui se découpent absorbent en eux-mêmes toute l’énergie, à l’écart de tout jeu. La mise en scène transforme l’espace en une sorte de grotte cosmique dont la pénombre obscure est traversée de fines constellations scintillant doucement dans le néant, peut-être pour rappeler notre finitude – même les étoiles meurent – et aussi une forme de beauté qui résiste. Les lumières de Catherine Verheyde sont absolument remarquables. On imagine que d’un soir à l’autre la représentation transforme son alchimie, touche différemment. L’aventure singulière est à tenter.

Agnès Santi

A propos de l'événement


Cap au pire de Samuel Beckett, mis en scène Jacques Osinski
du mardi 16 avril 2019 au samedi 20 avril 2019
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Sq. de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris

Le 16 avril à 19h, du 17 au 20 avril à 20h, relâche le 18. Tél : 01 53 0519 19. Durée : 1h25. Spectacle vu au Théâtre des Halles à Avignon Off 2017.


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