Théâtre - Critique

Avec le couteau le pain



« Plus tard / Tu verras / Tu me remercieras »? Qui n?a pas entendu dans
l’enfance cette antienne définitive, généralement assénée à coups de gourdins
bienveillants, par l’adulte dressé dans la morgue de son incontestable
supériorité ? Argument massue, qui chausse le plaisant masque de la sagesse pour
reconduire à l’identique les schémas dominants et prive de facto le sujet jugé
trop vert de toute capacité de penser? Carole Thibaut, jeune auteur et metteur
en scène repérée pour son bel appétit de textes contemporains, s’introduit dans
le huis clos des névroses familiales et découpe dans l’album ordinaire des
rituels domestiques les archétypes du despotisme paternel. Autour de la table :
le père donc, aussi bêtement buté qu’un pilier brandi en rase campagne, l’esprit
cloué au théorème mathématique de la réussite sociale et la main prompte à la
torgnole ; la mère, séide pervers de l’ordre établi ; Norbert, un fort en maths
justement, gendre idéal qui construit avec application son « brillant avenir »?
et bien sûr la Gamine, gentille enfant de l’amour devenue avec les années le
bien commode défouloir des dérives autoritaristes des uns et des autres.
D’autant qu’elle endosse le rôle avec la conviction coupable qu’elle l’a bien
mérité. Tant et si bien, qu’après avoir reçu la visite surprise de la Vierge, la
petite entreprend de gravir le chemin de croix, oh combien rude, pour accéder à
la sainteté.


Rire glaçant?

Qu?il s’abatte sur les brebis égarées, les citoyens, les élèves ou les mineurs,
tous incapables de discerner ce qui vaut pour leur bien, l’asservissement
s’avère en effet d’autant plus efficace qu’il terrorise toute velléité de
résistance. Le mieux étant évidemment que la personne intériorise l’irréfutable
légitimité de l’autorité et détourne l’éventuel accès de révolte contre
elle-même par la négation de soi. Loin de se lancer dans un vibrant plaidoyer
vériste, Carole Thibaut a l’heureuse idée de court-circuiter la psychologie et
d’emprunter au conte. Elle observe ses personnages par le miroir déformant du
regard de l’enfant, où fantasmes, rêves et cauchemars se collent sur la réalité.
Leurs comportements échappent à la logique des causalités et n?en frappent la
conscience qu’avec plus de violence. La mise en scène vient habilement soutenir
l’écriture : jeu stylisé, espace démesuré, théâtre d’ombres détournent toute
tentation réaliste. Maxime Leroux, prototype du machiste borné qui se prend pour
un brave type, Maryline Even, marâtre rabat-joie qui joue les mijaurées, Charly
Totterwitz, beauf en devenir et déjà néophyte zélé des rapports d’oppression, et
Karen Ramage, Gamine ingénue sans maniérisme, tiennent l’équilibre entre farce
et tragédie. La brutalité épaisse du père (certes trop caricaturale), symbole de
tous les arbitraires du pouvoir, étouffe toute émergence d’une subjectivité
autonome. Sauf que, parfois, les lapins tuent les chasseurs, comme dit la
chanson?
 
Gwénola David
 
Avec le couteau le pain, texte et mise en scène de Carole Thibaut, du
14 au 31 mars 2007, à 20h30, sauf dimanche à 17h, relâche lundi, mardi et le 23
mars, au Théâtre de l’Opprimé, 78-80 rue du Charolais, 75012 Paris. Rens. 01 43
40 44 44. Spectacle vu au Lavoir Moderne Parisien. Durée : 1h20

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