Théâtre - Critique

Automne et Hiver

Automne et Hiver - Critique sortie Théâtre


Avant de s’attaquer à des questions plus directement politiques et sociales, Lars Noren écrit dans les années 80-90 une série de pièces explorant les galeries obscures des relations familiales. Au Nord, le papier glacé des photos de familles recouvre souvent de turbulents geysers. Entre autres, Vinterberg et Bergman au cinéma, Ibsen et Strindberg au théâtre, ont déjà soulevé le couvercle qui pèse sur le ciel bas et lourd des foyers du cercle polaire. Cependant, dans Automne et Hiver, Noren sublime les histoires familiales en réflexion sur l’homme. Au-delà des destins particuliers – qui s’avèreront ici tout à fait ordinaires – se dessine en effet dans cette pièce l’image d’un être humain en pleine déréliction, condamné à composer avec cette « tristesse qui nous suit toute la vie » dès lors que se brise l’harmonie originelle. « Seul, on n’est jamais vraiment entier ».
 
Pas de théâtre cathartique
 
Des oeuvres de grande qualité, Automne et Hiver possède donc l’universalité. A force de phrases courtes qui s’effilochent en bribes évanescentes, d’anglicismes envahissants, de dialogues éclatés, de malentendus fragmentés, l’écriture de Noren poursuit la route d’un théâtre où les mots ne permettent que difficilement de communiquer, où leur matière fond dans la bouche comme ces mets absents de la table qui font dire à la mère au terme du repas : « j’ai presque oublié ce que nous avons mangé ». Portées par ce langage factice, les révélations se sapent d’elles-mêmes et l’échec ronge de l’intérieur la thérapie primale. Dans cette famille, la fracture sociale redouble les rivalités internes. Eva, la première des deux filles, est mariée et riche comme ses parents. Ann, la cadette, est à part, séparée, et trime comme souvent les mères seules. C’est elle, l’électron libre écrivant pour le théâtre, qui pousse à ce que chacun se dise. C’est elle qui impulse conflits et renversements d’alliances. Mais son obsession tourne à l’hystérie – la farandole des confidences au systématisme – et la géométrie de la dramaturgie, soulignée par la rotation monotone d’une immense table, suggère que l’on tourne en rond. En fait, il n’y a pas d’issue, pour Lars Noren, dans le fantasme d’un théâtre cathartique. Dans Automne et Hiver, l’art se voit condamné à dévoiler sans rien changer. Et même si le jeu, entre incarnation et détachement, manque de culot et de variété, grince légérement dans les moments de crise et d’agôn, il fait résonner dans une mise en scène dépouillée, l’éloquent écho de tout ce vide, de ce silence qui envahit la vie des hommes dès leur naissance, qui les sépare à jamais.  
 
Eric Demey

Automne et Hiver de Lars Noren, traduction Jean-Louis Jacopin, Per Nygren et Marie de La Roche, mise en scène d’Agnès Renaud. Du lundi 18 au mercredi 27 janvier 2010 à 20h30, à 19h le 21 et le 25. Lavoir Moderne Parisien, 3 rue Léon, 75018 Paris. Réservations : 01 42 52 09 14. Spectacle vu au Mail de Soissons.

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