Théâtre - Entretien

Audience et Vernissage

Audience et Vernissage - Critique sortie Théâtre Paris Artistic Théâtre


Artistic Théâtre / de Václav Havel / mes Anne-Marie Lazarini

Pourquoi ces deux œuvres ?

Anne-Marie Lazarini : Parce qu’elles font surgir une pensée étonnamment moderne, et parce que leur écriture rassemble de formidables ingrédients théâtraux : un humour caustique, une ironie mordante, un sens aigu du dialogue et une façon d’être totalement inscrite dans la vérité et le vécu avant de déraper jusqu’à l’absurde et la folie… Ecrites en 1975 dans le contexte particulier de la Tchécoslovaquie d’alors, ces pièces sont sous-tendues par la philosophie et les convictions de Václav Havel. A cette époque, il est un dissident menacé dont les textes sont interdits. Ses remarquables écrits théoriques m’ont éclairé sur les pièces. Le Pouvoir des sans-pouvoir, essai extraordinaire, dissèque les mécanismes qui privent selon lui les gens ordinaires de toute capacité d’influer sur leur vie. Et justement, ces deux pièces défendent et dévoilent une idée forte : celle que l’être humain, le simple citoyen, le petit individu, peut avancer et se battre, sans être sûr du résultat, même s’il n’a pas de pouvoir. Qu’il gagne ou pas, le fait même d’essayer de tracer sa route est une victoire pour son existence, son identité et sa valeur d’être humain. C’est une idée très moderne ! Et c’est une idée qui remonte le moral dans une France dépressive !

Le destin de Václav Havel est très singulier…

A.-M. L. : Et fascinant ! L’écrivain dissident qui passa cinq années en prison fut porté à la Présidence de la République tchécoslovaque en 1989, suite à la fameuse Révolution de velours qui renversa le régime sans une seule vitre cassée ! Ce parcours hors normes a évidemment nourri le travail théâtral. L’œuvre tout entière du dramaturge est imprégnée de cette idée de responsabilité et de résistance. En 1975, Václav Havel est poursuivi par la police et pendant neuf mois il va travailler dans une brasserie en Bohême. Dans les deux pièces, il met en scène son double théâtral, Ferdinand Vanek, auteur interdit par le régime, d’abord dans une brasserie dans Audience, puis chez des amis dans Vernissage. Ce même personnage à chaque fois résiste aux injonctions dominantes. Patient, obstiné, guidé par la nécessité et le souci de la vérité, le dissident – Ferdinand comme Václav – est celui qui dit non, qui tranquillement se soulève contre la normalisation, et qui effraie.

Quelle est la réalité de cette résistance ?

A.-M. L. : Il existe un parallélisme très fort entre les deux pièces, qui se déploient comme des partitions avec des répétitions, des symétries, mais dans des atmosphères et des espaces très différents. Dans Vernissage, Ferdinand est engagé comme manœuvre par le brasseur. Ce dernier lui promet une position plus confortable si Ferdinand accepte de se dénoncer lui-même en rédigeant des rapports. Son refus plonge le brasseur dans la détresse. Puis Ferdinand est invité chez des amis proches, qui ont totalement renoncé au combat pour s’installer avec une délectation excessive dans une société de consommation. Ils s’emploient à le convaincre d’abandonner sa façon de vivre. A un moment donné, comme chez Kafka, l’auteur préféré de Václav Havel, un dérapage emporte les personnages vers la folie. Ferdinand résiste, il renvoie à ses amis l’image même de leur renoncement, il leur tend un miroir insupportable, et le couple devient hystérique. Le réalisme éclate sous l’impulsion de l’ironie et l’humour.

« Le réalisme éclate sous l’impulsion de l’ironie et l’humour. »

Comment avez-vous conçu la scénographie ?

A.-M. L. : Comme toujours dans mon travail, je recherche d’abord un fonctionnement dans l’espace, à partir de l’espace, pouvant permettre ici d’explorer cette dialectique passionnante entre résistance et renoncement. Notre scénographe François Cabanat a conçu deux espaces distincts, et le spectateur circule de l’un à l’autre. La brasserie d’abord avec le bureau du brasseur, puis l’appartement du couple, pour lequel il a imaginé une autre forme d’accumulation que celle proposée dans la pièce, grâce à un tableau emblématique du grand peintre tchèque Miloslav Moucha, Champ de colza, décliné sous divers formats. Ferdinand aussi passe d’un espace à l’autre, et son expérience invite à une réflexion fructueuse sur l’être au monde, sur notre responsabilité dans le monde. Selon les mots de l’auteur, ces pièces mettent en jeu un théâtre comme « un foyer vivant et inquiétant d’introspection où la société se révèle à elle-même. »

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement


Audience et Vernissage
du mercredi 9 novembre 2016 au samedi 31 décembre 2016
Artistic Théâtre
45 Rue Richard Lenoir, 75011 Paris, France

du mardi au jeudi à 19h, vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h. Tél : 01 43 56 38 32.


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