Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets de Koffi Kwahulé / mes Kristian Frédric

« L’aventure artistique de ce spectacle est partie de l’envie qu’avait Koffi Kwahulé d’écrire un texte pour notre compagnie. Par le passé, j’ai eu l’immense plaisir de créer deux de ses pièces, à Montréal puis en France et en Suisse : Big Shoot avec Sébastien Ricard et Daniel Parent ; Jaz avec Amélie Chérubin Soulières. Ces deux créations ont été marquantes dans mon parcours théâtral. Alors, quand Koffi m’a parlé de vouloir nous écrire un spectacle autour d’Arletty, cela a été une évidence pour moi. Comment refuser un désir au poète ? Il était venu à moi avec “l’humilité de celui qui propose, face à celui qui dispose”. Il est assez rare qu’un auteur contemporain vienne vous réveiller en vous annonçant le programme de votre prochain challenge. Et puis, j’ai toujours dit qu’il y avait deux écritures qui me bouleversaient et m’obligeaient au dépassement artistique : celle de Bernard-Marie Koltès et celle de Koffi. Je ne pouvais donc que relever le gant. Pour deux anciens boxeurs amateurs, nous ne pouvions pas ne pas nous retrouver sur ce ring ! L’écriture de Koffi, comme celle de Koltès, ouvre un chemin qui n’est pas de tout repos. Elle oblige à l’arpenter avec fougue et abandon, à ne faire qu’un avec elle.

Les fêlures de l’âme

Koffi nous plonge dans un labyrinthe. Tout au long du spectacle, il tisse des chemins qui nous permettent d’explorer la complexité de l’âme humaine. Raconter Arletty, tout en révélant le trajet d’une femme du XXIème siècle qui se prépare à l’interpréter, est aussi pour moi une belle manière d’aborder le sujet de la schizophrénie de l’artiste qui s’abandonne peu à peu à l’autre. Cette pièce m’a tout de suite fait penser aux univers de John Cassavetes, à sa façon de poser son regard sur les fêlures de l‘âme. Pour cela, il me fallait une rencontre hors norme. Julia Leblanc-Lacoste est arrivée dans ma vie comme un ouragan. Sa présence, sa façon d’aborder son travail avec humilité et entièreté, m’ont immédiatement bouleversé. Cette femme intègre et vrai, cette Antigone moderne qu’était Arletty se trouvait déjà en face de moi. Julia refuse la fausseté et le calcul carriériste, comme Arletty refusait de se plier aux pratiques de son époque. Deux femmes affranchies, arrogantes, prêtes à défier les plus hautes autorités pour imposer leurs visions d’un monde libre. C’est tout cela qui m’a fait les aimer sans retenue. Tout l’enjeu de mon travail a été de les faire éclore sur scène. »

Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat