Théâtre - Critique

Architecture, écriture et mise en scène Pascal Rambert

Architecture, écriture et mise en scène Pascal Rambert - Critique sortie Théâtre Rennes TNB - Théâtre national de Bretagne


En tournée / Texte et mes Pascal Rambert

Dans sa pièce la plus fameuse, Clôture de l’amour, deux êtres qui se sont aimés s’affrontent par le langage, tranchant, implacable jusque dans ses silences. Interprété par leurs mots autant que par leurs corps, le duel entre Stanislas Nordey et Audrey Bonnet faisait naître une pièce impressionnante, très forte, qui emporte. Ce n’est pas le cas d’Architecture. Pascal Rambert a écrit cette pièce afin d’explorer la montée du nationalisme et selon ses termes de mettre en forme « un memento mori pour penser notre temps ». Il y décrit l’histoire brutale d’une famille de gens brillants – architectes, compositeurs, écrivains, artistes, scientifiques… -, qui rassemble un patriarche autoritaire, architecte renommé, (Jacques Weber), ses enfants (Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Denis Podalydès, Stanislas Nordey) et leurs conjoints respectifs (Laurent Poitrenaux, Arthur Nauzyciel, Audrey Bonnet). Seul Stan est seul. Jacques a épousé en secondes noces une femme beaucoup plus jeune que lui (Marie-Sophie Ferdane). C’est pour ces comédiennes et comédiens qu’il connaît bien – il rêvait depuis longtemps de travailler avec Jacques Weber -, en tous points excellents, qu’il a écrit la pièce. Tous sont appelés dans la pièce par leurs vrais prénoms. Leur périple traverse le temps, du début du XXème siècle jusqu’à l’Anschluss, en mars 1938, et aussi divers espaces de la Mitteleuropa à partir de Vienne. Là encore, les relations conjugales ou filiales tendues donnent lieu à toutes sortes d’affrontements plus diffractés et moins binaires que dans d’autres pièces de Pascal Rambert. Dans une sorte d’auto-analyse, entre confidences et règlements de comptes, les personnages abordent un grand nombre de sujets, de leur désir de beauté – le nombril du monde à Delphes… – à l’évocation de la mère morte. Si l’écriture rend compte avec netteté des tensions familiales, déterminées principalement par des frustrations et rancœurs, elle échoue à faire écho de manière convaincante à la montée du fascisme. Les protagonistes, pétrifiés par la catastrophe qui arrive, parlent très longuement d’eux-mêmes face au monde, mais guère du monde même. L’implicite est écrasé par toute cette véhémence, par toutes ces névroses imbriquées. Pour être examinée, cette question passionnante de la fin de la démocratie et du basculement dans la haine et la barbarie ne peut être adossée à quelques bribes de réel vaguement contextualisées, noyées dans un océan de paroles névrotiques.

Faillite du langage

On pourrait évidemment se dire que c’est justement cette faillite du langage et son corollaire l’incapacité à agir qui révèlent la possibilité et l’ampleur de la catastrophe, mais cette faillite et son trop-plein de mots prennent toute la place de la représentation, étouffent les enjeux, amoindrissent les résonances entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. Bien sûr, et d’autant plus avec de tels interprètes, de très beaux moments d’émotion affleurent, quelques scènes et monologues font mouche, mais l’ensemble ne répond pas à sa haute ambition. Sur le plateau immaculé, sculpté par de belles lumières, les évolutions des costumes mais aussi les changements du mobilier sont significatifs, du style Biedermeier jusqu’au design plus moderne du Bauhaus, dont les artisans durent fuir le nazisme. Créée en juillet dernier dans la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon, sans utilisation spécifique de la grandeur de l’espace, la partition sera sans doute plus à son aise sur un plateau classique.

Agnès Santi

A propos de l'événement


Architecture de Pascal Rambert, une réflexion autour du basculement dans la barbarie
du jeudi 26 septembre 2019 au vendredi 4 octobre 2019
TNB - Théâtre national de Bretagne
1, rue Saint-Hélier, 35040 Rennes

à 20h sauf le jeudi à 19h, le 5 à 15h. Tél : 02 99 31 12 31. Théâtre national de Strasbourg du 15 au 24 novembre ; Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, du 6 au 22 décembre ; Bonlieu, Scène nationale d’Annecy, du 7 au 9 janvier 2020 ; La Comédie de Clermont-Ferrand, du 15 au 17 janvier ; Les Gémeaux Scène nationale de Sceaux, du 24 janvier au 2 février ; Le Phénix Scène nationale de Valenciennes, les 5 et 6 février, Les Célestins-Théâtre de Lyon du 12 au 19 février. Durée : 3h35. Spectacle vu dans la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon en juillet 2019. Texte publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.


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