Théâtre - Entretien

Anne-Marie Lazarini et l’éducation artistique / Pour des artistes buissonniers

Anne-Marie Lazarini et l’éducation artistique / Pour des artistes buissonniers - Critique sortie Théâtre


Entretien Anne-Marie Lazarini
Débat et réflexions / Education artistique

Le désir comme premier moteur

J’ai cette sensation qu’au fil du temps la question de la création est passée derrière celle de la diffusion et de l’action culturelle, dans une uniformisation désormais installée, où la part créative occupe à peine un quart du temps et de l’énergie des artistes. Et je ne crois pas cette évolution très saine, surtout quand elle relève d’une obligation. Le travail en lien avec les publics ne peut se faire que si l’artiste en éprouve et en formule un vrai désir, et ce désir est multiforme : il s’émousse en étant soumis au mode stéréotypé installé. Il y a des artistes qui n’en ont pas envie : ils en ont le droit ! Ce n’est pas mal, quoi qu’en laisse supposer la culpabilisation ambiante. L’artiste n’a pas vocation à faire de l’animation et s’il veut réunir dix compagnons pour répéter dans une cave sombre à l’abri du monde, cela n’a rien de déshonorant ! J’en parle d’autant plus librement que ce n’est pas mon cas, mais il faut reconnaître que l’on peut entretenir de multiples rapports avec le public aussi intéressants que l’animation hebdomadaire d’un atelier qui sert de bonne conscience.

 

Eloge du minuscule

En face de l’Artistic Théâtre, nous possédons une galerie, notre « Petit laboratoire d’actions artistiques » inventé par Dominique Bourde, codirectrice du théâtre, pour tenter d’approcher autrement la question de la familiarisation avec l’art. C’est un lieu toujours ouvert, qui n’est pas surveillé et qui n’a jamais été dégradé. Nous y avons organisé plusieurs choses, jamais spectaculaires, certes, mais qui remuent, étonnent et sollicitent : ainsi les photographies des Algériens qui habitent la rue, ainsi l’auteur de bédé venu dessiner pour le quartier, un écrivain public installé pour un temps, ou encore l’atelier d’écriture de lettres, lorsque Florence Aubenas était retenue en otage… Je crois au minuscule, au petit, dont l’éclat est plus sincère que la diffusion pour la vitrine… J’ai fait des ateliers, j’organise toujours des rencontres avec le public – notamment avec les lycéens quand ils viennent. Tout cela, c’est le b.a.-ba de notre métier. Mais il faut à chaque fois que j’en éprouve la nécessité et qu’elle me porte au-delà de la création au plateau. Je me souviens d’ateliers faits dans les petites classes où le rapport qui se nouait avec les enfants était extrêmement fort. Je me souviens aussi d’ateliers avec des personnes âgées et d’une femme, qui avait élevé seule cinq enfants dans la rigueur d’un protestantisme corseté, qui n’était jamais entrée dans un café de sa vie et qui découvrait le théâtre comme une révélation ! Quand le théâtre offre un monde nouveau que ceux qui le découvrent n’auraient jamais imaginé, et même si c’est le cas pour trois personnes, c’est magnifique !

« Quand le théâtre offre un monde nouveau que ceux qui le découvrent n’auraient jamais imaginé, et même si c’est le cas pour trois personnes, c’est magnifique ! »

Du soleil dans l’ordinaire des jours

Pour cela, il faut du temps, de la durée, mais lorsque quelque chose d’une exploration inédite apparaît, à partir du moment où cela naît et quand on assiste à cette naissance, c’est magique ! J’ai parfois vécu, dans ces ateliers, des moments aussi inoubliables que ceux que j’ai pu vivre sur le plateau ! Un artiste amène de l’air, du soleil, de la pluie, du vent, évidemment plus que le professeur qui est là dans l’ordinaire des jours. Mais l’artiste ne peut apporter un complément utile que s’il a une vraie volonté d’être là. S’il y est convoqué pour aider à faire ce que les politiques ne font pas ou qu’ils ont abandonné en sacrifiant les relais qu’offraient ceux – médiateurs ou animateurs – dont c’est le métier, ça ne va pas ! Il y a, sur la question sociale, une démission collective qu’on voudrait voir pallier par les artistes. On entend sempiternellement les politiques affirmer que la culture est au cœur de leurs préoccupations ; certains s’inventent même des statures d’intellectuels, de littéraires ou d’hommes de théâtre… Mais qui parle vraiment de création ? Personne ! Et on nous annonce que pour nous consoler d’avoir dû fermer les théâtres, on va nous confier un rôle d’animation ! Comme si c’était la même chose… Comme si on pouvait ouvrir le monde de la création en faisant des ateliers d’été !

 

Résister à l’occupation

Ce n’est pas le terrain qui nourrit l’art, c’est l’art qui doit nourrir le terrain. Cela ne veut pas dire que les gens n’ont rien à dire et qu’ils sont passifs, mais cela veut dire que si l’on veut des allers-retours entre l’artiste et le public, pour qu’il y ait un retour, il faut qu’il y ait d’abord un aller ! Une certaine conception de l’animation consiste à donner aux gens ce qu’ils veulent, à leur proposer ce qu’ils aiment déjà (et on nous incite désormais à organiser nos programmations en ce sens !), mais ce qui est gratifiant, c’est de dire aux gens : venez, vous ne connaissez pas, mais vous allez voir ! Ouvrez-vous, soyez curieux de ce qui n’est pas vous, de ce dont vous n’avez pas l’habitude. Ne vous contentez pas de ce que vous connaissez déjà ; n’allez pas voir au théâtre ceux que vous connaissez par la télé ! Allez vers le difficile ! Evidemment que c’est moins rapide, moins tranquille, moins agréable ! Mais c’est le difficile qui permet de mieux comprendre la vie, qui en donne le sens et souvent le goût… Cette médiocrité générale, qui fait aujourd’hui système, fait qu’on croit faire plaisir aux gens quand on les occupe… Je ne crois pas aux vertus de l’occupation…

Propos recueillis par Catherine Robert

Entretien réalisé dans le cadre de la publication du Carnet n°8 de L’Anthropologie pour tous, intitulé Pour une école des arts et de la culture. A paraître en septembre 2020. oLo Collection Site : www.anthropologiepourtous.com

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Anne-Marie Lazarini / Pour des artistes buissonniers


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