Théâtre - Critique

A la porte



« Il y a chez ce jeune homme un mélange d’insignifiances et de
raffinements 
», avance le vieux philosophe, parlant de celui à cause de qui
il se retrouve, un dimanche matin, seul et sans clefs hors de chez lui, à errer
dans Paris en attendant que sa s’ur vienne user de son double pour ouvrir la
porte de son appartement. « Un mélange d’insignifiances et de raffinements » : voici
précisément ce qui semble tout d’abord se dégager du texte de Vincent Delecroix
adapté et mis en scène par Marcel Bluwal. Références à Leibniz, Platon,
Foucault, Hegel’ Coups de griffes contre l’inculture généralisée, la
globalisation, le cinéma de Lelouch, les journalistes’ Portraits au vitriol de
l’entourage du vieux bougon qui n?épargne personne. Le début de A la porte,
ponctué de ces trop nombreuses et trop complaisantes coquetteries, n?annonce
rien de très enthousiasmant. Et pourtant, peu à peu, la représentation prend
irrémédiablement de l’envergure. Entré lentement mais profondément dans les
marques de son personnage, Michel Aumont finit en effet par subjuguer, emportant
le public à la découverte des blessures intimes du philosophe.

Un monologue intérieur entre émotion, fantasmagorie et désarroi

Un changement majeur se fait jour. L’intérêt poli que suscitait la première
demi-heure de la pièce laisse place à une attention aiguë, pleine, entière.
S’engouffrant dans l’avancée surréaliste et extravagante que propose le texte,
le grand comédien parvient à imposer son talent singulier, donne corps sans
hyperbole à une émotion et une profondeur qui perdureront jusqu’à la fin de son
monologue intérieur. A la porte de son appartement comme à celle de la vie, le
vieil homme déambule ainsi de rencontres tangibles en retrouvailles
fantasmagoriques, devise aussi librement avec une vendeuse en téléphonie qu’avec
son père décédé depuis de nombreuses années, dénonce dès que possible la laideur
et la vacuité d’un monde auquel il ne se sent plus appartenir. Car au c’ur de ce
personnage misanthrope et éternellement insatisfait réside une souffrance
insondable, une peine beaucoup plus tragique et pernicieuse que sa propension à
tout déconsidérer veut bien le laisser paraître. Une peine et une souffrance que
Michel Aumont investit avec une remarquable délicatesse, un sens de la pudeur et
de l’intériorité saisissant.

Manuel Piolat Soleymat

A la porte, d’après le roman de Vincent Delecroix ; mise en scène et
adaptation de Marcel Bluwal. Du mardi au samedi à 21h00 ; matinées le samedi à
18h00 et le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi. Théâtre de l’?uvre, 55, rue de
Clichy, 75009 Paris. Réservations au 01 44 53 88 88.

Légende du visuel : « Des corps mis à l’épreuve qui racontent l’effort, la
lutte, la tentative d’affranchissement. »

A propos de l'événement




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