Pour dire la résilience et la joie malgré les accidents, quoi de mieux que la danse et la musique, surtout quand il s’agit de parler de l’histoire du Brésil et des Brésiliens ? 23 Fragments… se présente de prime abord comme une chorégraphie de cirque, presque une performance. Sur un tapis circulaire pris entre quatre gradins, les six interprètes enchaînent des tableaux qui sont autant d’allégories de vie, individuelle ou collective. Équilibre sur bouteilles, fakirisme sur Legos, acrodanse, l’ancrage des corps dans le sol est évident. Le traitement est ludique : on a l’impression d’être face à un tapis de jeu, et les objets mobilisés, s’ils n’appartiennent pas tous au monde de l’enfance, sont détournés de leur usage habituel, ce qui produit des décalages cocasses. La fin du spectacle voit les artistes prendre de la hauteur : danse suspendue, sangles, trapèze, et un étrange agrès fait de guirlandes de bouteilles. Les figures aériennes redonnent alors de la vigueur à un spectacle qui menaçait de patiner, ayant épuisé ses possibilités au sol.
Atteindre la poésie par la chosification
Ces saynètes racontent les trajets intimes comme ils reflètent l’image d’un Brésil qui se disloque graduellement. Deux planches de salut sont offertes. La première tient dans la réhabilitation de l’idée originelle d’Auguste Comte, pour qui « Ordre et progrès » (devise du Brésil) ne se concevaient pas sans « amour ». La seconde tient dans une poétisation du monde, qui passe par le rapport aux objets : le spectacle se revendique d’un « Manifeste Chosiste », qui s’attarde sur la beauté des choses qui habitent le monde de leurs « présence[s] inerte[s] ». La proposition n’évite cependant pas complètement l’écueil propre à son écriture non narrative : composée de façon impressionniste en tableaux fractionnés, elle exige une attention particulière. À chaque transition, les artistes doivent susciter à nouveau l’adhésion du public au spectacle. C’est une gageure, et on décroche par moments, pour vite être repris par la vivacité et l’énergie des interprètes. Peut-être quelques fragments sont-ils en trop, aussi, et entraînent une dilution du spectacle dans l’anecdote : resserré, il gagnerait en force ce qu’il a déjà en beauté.
Mathieu Dochtermann
du mardi au vendredi à 19h30, samedi à 18h. Tél. : 01 56 08 33 88. www.lemonfort.fr Spectacle vu au CDN de Rouen dans le cadre du festival Spring 2022.
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