La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Valérie Baran / Les dix ans du Tarmac

Valérie Baran / Les dix ans du Tarmac - Critique sortie Théâtre Paris Le Tarmac
Crédit photo : Legrand

Publié le 13 octobre 2015 - N° 236

Le Tarmac est, en France, l’unique théâtre entièrement dédié à la scène contemporaine francophone. Valérie Baran le dirige depuis dix ans : elle y défend, avec obstination, passion et fougue, la diversité créatrice d’une langue aux expressions plurielles.

Le Tarmac est le seul théâtre français dédié à la création francophone…

V. B. : Nous partageons cette spécificité avec le Festival des francophonies en Limousin. C’est en effet très peu, même s’il y a de plus en plus de gens, dans la profession, qui s’intéressent à la création internationale. Mais le contexte n’est pas favorable : il faut non seulement déplorer la pression de certaines tutelles, qui exigent parfois un droit de regard sur l’accueil des créations, mais aussi la difficulté à faire venir les artistes de l’extérieur de l’espace Schengen : les lourdeurs administratives pour y entrer sont telles qu’elles constituent un frein pour beaucoup de gens… Or le théâtre francophone s’invente aujourd’hui et pas seulement en métropole. Il interroge les mutations contemporaines. Notre rôle, au Tarmac, est de faire entendre ces voix-là. Mais dans cette période de complexité politique et de racornissement des subventions, c’est beaucoup plus compliqué !

Qu’entendez-vous par « complexité politique » ?

V. B. : Nous sommes dans une période d’extrémisation de la société. Le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, les clivages n’ont jamais été aussi importants. Certes, ces haines sont naturellement ancrées dans la société française, la colonisation a laissé des traces, mais la stigmatisation grandit : il reste un énorme travail à faire, plus encore dans ce moment où les fossés se creusent. Nous devons donner à entendre les conditions d’une réconciliation. Certes, cela fait un moment que nous savons qu’il faut y travailler, mais il est urgent, aujourd’hui, de bouger. Faire venir au plateau ceux qu’on n’y voit jamais, hors d’une vision manichéenne de ce qu’ils sont, et faire venir aussi ces publics qu’on dit « empêchés », pour ne pas les nommer autrement. J’abhorre ce terme, tant il veut tout et ne rien dire. Il est très utilisé par nos tutelles, qui ne sont jamais à court d’inventions lexicologiques pour dire sans dire et ne heurter personne, mais sont bien moins inventives quand il s’agit non pas de faire, mais de permettre aux autres de faire, en les finançant à la hauteur de leurs seuls besoins vitaux.

Cet « empêchement » est-il une ignorance de la diversité sociale ?

V. B. : Lorsque je marche dans les rues de Paris, de banlieue et  dans les rues des villes de France, je reconnais notre public. Mais tous ces gens de la rue se reconnaissent-ils dans les lieux de théâtre ? Contrairement à ce que pensent d’aucuns, les Noirs et les Arabes ne sont pas éloignés des lieux d’art et de culture. Il y en a même qui sont artistes, et quels artistes, que de talents ! C’est vrai qu’on les cherche un peu à la loupe sur les plateaux français ! Heureusement que Koltès a écrit Combat de nègre et de chiens qui se joue encore régulièrement. Pour les femmes et les Arabes, on verra plus tard !  Avec le retour en force, ces derniers temps, des « si contemporains » Molière, Shakespeare, Marivaux et Pirandello, pas sûr que ces artistes trouvent facilement un emploi, ni que les publics ne s’empêchent de fréquenter une fois encore ces lieux pourtant majeurs de la scène française.

Comment résister ?

V. B. : Par exemple en faisant réentendre le Cahier d’un retour au pays natal, que j’ai programmé cette saison ; en faisant connaître les événements qui se passent sur le continent africain, en invitant ces « artivistes » qui, du Sénégal au Burkina Faso, participent à démocratiser leurs sociétés ; en accompagnant les spectacles avec des débats, des conférences, des petits journaux, pour comprendre d’où écrivent ces artistes : notre travail est d’être leur porte-voix ! Et sans être seulement dans l’affliction et la revendication : nous ne faisons pas du théâtre d’intervention ! Notre idée est de porter des paroles artistiques fortes, dans la forme et dans le fond ! En travaillant aussi avec les jeunes, en mixant les publics, les générations, en refusant le communautarisme par le brassage, afin de retrouver dans la salle ceux qu’on croise dans la rue. Au Tarmac, nous avons réussi cette mission : notre public est vraiment représentatif de la diversité francilienne. Travailler sur la mixité des publics, c’est contribuer à apprendre à vivre ensemble. C’est aussi pour cela que nous travaillons avec les enseignants pour les mobiliser autant sur les éléments de compréhension des œuvres que sur les conditions du vivre-ensemble au théâtre. Puisque nous invitons des représentants et des représentations de l’altérité, notre projet artistique touche aussi aux fondements de notre société.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Tarmac
159 Avenue Gambetta, 75020 Paris, France
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