La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2013 Entretien Jean-Michel Lucas / Doc Kasimir Bisou

« Une autre politique est possible »

« Une autre politique est possible » - Critique sortie Avignon / 2013 Avignon
Crédit photo : DR Jean-Michel Lucas

Jean-Michel Lucas / Doc Kasimir Bisou

Publié le 26 juin 2013 - N° 211

Cet ancien Directeur Régional des Affaires Culturelles et conseiller auprès du ministre Jack Lang se définit lui-même comme « consultant en dé-formations culturelles » : il développe une approche pour une autre politique, qui déplace les enjeux actuels pour se recentrer sur la perspective d’un développement humain durable.

« La culture non comme un ensemble de produits mais comme l’enjeu de “faire humanité ensemble“. »

L’Etat peut-il aujourd’hui assumer la même politique culturelle, alors que la conjoncture économique fait apparaître la crise d’un système ?

Jean-Michel Lucas : Le premier réflexe est de parler de « mauvaise conjoncture » comme d’un moment douloureux à passer avant de revenir à l’état antérieur. Cette position est, à mon sens, une erreur, car elle refuse de se demander si les bonnes raisons justifiant les politiques culturelles de l’Etat sont toujours valables. Or, elles ne le sont plus. D’abord parce que le gouvernement de gauche a repris à l’identique le bien fondé du ministère de Malraux : rendre « accessibles les œuvres capitales de l’humanité » ! L’idée qu’on puisse définir pour l’Humanité entière, d’hier et de demain, d’ici et d’ailleurs, ce qui serait ses « œuvres capitales », est une bizarrerie politique dans un pays qui a ratifié les conventions Unesco sur la diversité culturelle, comme si personne au ministère n’avait lu le rapport de Cuellar sur « notre diversité créatrice ». Ensuite, parce que les institutions culturelles sont coincées : à leur corps défendant, la valeur des œuvres n’est plus qu’une affiche publicitaire. « Rendre accessible » signifie, en pratique, « élaborer une stratégie marketing  » pour attirer les bonnes cibles de consommateurs. Ce glissement est normal, au sens des normes internationales fondant le progrès collectif sur la satisfaction des consommateurs dans un marché libre, sans intervention publique[1]. C’est le paradoxe de l’exception culturelle française : elle prétend défendre la culture mais l’installe dans une position marginale par rapport à la grande machine concurrentielle censée apportée le progrès pour tous. Il faudrait se décider à poser autrement l’enjeu culturel public.

Une autre politique est-elle possible ? Comment les collectivités territoriales se positionnent-elles dans leurs nouvelles orientations ?

J.-M. L. : Un changement de point de vue vient d’être consacré par les élus à la culture des collectivités, si j’en juge par les dernières orientations politiques de la Fédération Nationale des Collectivités territoriales pour la Culture[2], née en 1960 à l’initiative d’un groupe de maires. Le texte d’orientation appelle ainsi à « un renouvellement considérable des modes de gouvernance politique permettant une attention plus grande à la personne  – à ses droits culturels, à son désir de reconnaissance, à son besoin d’émancipation, à sa volonté de participation à la construction d’un imaginaire sensible partagé ». La FNCC nous invite à prendre comme référence le « développement humain ». La déclaration de Fribourg sur les droits culturels définit la culture non comme un ensemble de produits mais comme l’enjeu de « faire humanité ensemble ». L’enjeu culturel nécessite une vigilance constante pour que les identités culturelles interagissent, fassent « relation»,  pour parler comme Edouard Glissant, et renoncent au repli identitaire mortel pour le progrès de l’humanité. L’enjeu de la politique culturelle publique devrait se déplacer vers la « personne » comme être de liberté et de dignité. Une autre politique est donc possible à condition d’accorder du temps et des moyens au débat éthique sur la portée humaniste, pas seulement consumériste, des activités culturelles. La « palabre » doit s’organiser pour entendre les libertés culturelles et tenter de « mettre en raison les convictions », pour reprendre les propos d’Amartya Sen[3].

Quelles seraient les limites des engagements de la feuille de route de la FNCC ?

J.-M. L. : La première limite est le blocage de la palabre. Au lieu de vouloir devenir « entrepreneurs culturels », les élus devraient en priorité veiller à ce que toutes les parties prenantes de la Cité fassent un peu mieux culture, c’est-à-dire « humanité ensemble ». La seconde limite est que la République française est gravement fautive car elle n’inclut la culture que dans les compétences générales (donc facultatives) des collectivités. La loi devrait plutôt rendre obligatoire la co-élaboration de politiques améliorant le Vivre ensemble, dans le respect réciproque des libertés et des dignités des personnes (dont la liberté effective des artistes de pratiquer l’expérimentation artistique comme expression de leur dignité). Cette absence d’intérêt de la République  pour cet enjeu culturel humaniste est certainement le principal frein pour faire avancer localement ces nouvelles orientations.

 

Propos recueillis par Nathalie Yokel

 

[1]          Voir  «  Culture et développement durable  » de Jean-Michel Lucas, Edition Irma.

[1]          Voir document d’orientation politique de la FNCC  : des politiques culturelles pour les personnes, par les territoires. http://www.fncc.fr/

[1]          Voir sur le site  http://www.irma.asso.fr/Jean-Michel-Lucas-Doc-Kasimir

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