La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Un mois à la campagne

Un mois à la campagne - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Déjazet
Le metteur en scène Alain Françon. Crédit : Michel Corbou

Théâtre Déjazet / d’Ivan Tourgueniev, traduction Michel Vinaver / mes Alain Françon

Publié le 19 février 2018 - N° 263

Avant l’arrivée d’un jeune précepteur, la vie était paisible chez les Islaïev. Le temps d’un mois d’été, les élans de l’amour vont brouiller cette quiétude… Créée le 8 janvier dernier au Théâtre Montansier à Versailles, la mise en scène d’Un mois à la campagne signée Alain Françon – dans une nouvelle traduction* de Michel Vinaver – est reprise au Théâtre Déjazet.

Le fait que Michel Vinaver signe une nouvelle traduction d’Un mois à la campagne a-t-il été déterminant dans votre volonté de mettre en scène cette pièce ?

Alain Françon : Ça a été essentiel. Lorsque Michel Vinaver et Anouk Grinberg (ndlr, interprète du spectacle aux côtés de Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Côte, Catherine Ferran, Philippe Fretun, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Lévêque, Thomas Albessard – en alternance avec Quentin Delbosc-Broué et Anton Froehly) m’ont proposé de mettre en scène ce texte, j’ai immédiatement dit oui. Michel Vinaver et son écriture sont tellement importants dans mon parcours, j’ai tellement fait d’expériences avec lui… Si je voulais résumer la chose, je pourrais presque dire qu’il m’a appris à lire. Avec lui, j’ai pris conscience de l’importance de la sonorité. Michel Vinaver a l’habitude de dire qu’une pièce s’entend avant de se voir. Comme lui, je considère le texte comme une partition.

Ce qui suppose un travail important sur le rythme…

A.F. : Oui, car au-delà du sens, le rythme est parfois ce qui permet de comprendre le mieux une pièce. D’ailleurs, lorsque j’ai mis en scène ses textes, j’ai souvent vu Michel Vinaver utiliser un système de notations… Il met des petits chapeaux quand il faut marquer une intensité, il y a des indications lorsque c’est staccato, lorsque c’est fluide…

Qu’est-ce qui vous impressionne le plus dans son écriture ?

A.F. : Je crois que c’est le tissage des phrases qui fait que, tout à coup, par rapport à une conversation normale, des agencements créent des écarts. Et dans ces écarts, il y a du théâtre à faire. L’écriture de Michel Vinaver produit des choses profondément inattendues, qu’il ne calcule d’ailleurs sans doute pas. Des sens explosifs surgissent par capillarité.

 

« L’écriture de Michel Vinaver produit des choses profondément inattendues. »

 

Qu’est-ce que la traduction écrite par Michel Vinaver apporte, selon vous, à la pièce d’Ivan Tourgueniev ?

A.F. : Michel Vinaver a recréé une langue en mettant toute son expérience de dramaturge dans cette œuvre. Son texte est sans doute un peu plus elliptique que d’autres traductions. A certains endroits, je crois qu’il a vraiment travaillé comme s’il écrivait sa propre pièce. Mais, en même temps, je pense qu’il a eu envie de disparaître, de faire un travail tout à fait humble. Comme le disait Tourgueniev lui-même, qui ne se considérait pas comme un bon dramaturge, Un mois à la campagne n’est pas une bonne pièce : c’est un récit dramatique.

Quelles implications cette dimension de récit a-t-elle engendrées dans votre travail avec les acteurs ?

A.F. : J’ai demandé aux acteurs de ne pas exhiber leurs sentiments, leurs émotions, leurs pulsions, mais d’en faire le récit. J’ai également essayé d’ouvrir la pièce sur le public. Le dispositif scénique que nous avons imaginé, avec Jacques Gabel (ndlr, scénographe du spectacle), est ce que l’on appelle un espace intermédiaire. C’est-à-dire un espace complètement modifiable, qui contient tout à la fois : aussi bien un jardin, que deux ou trois bouts de murs. Et puis, il y a un espace à l’avant-scène où les acteurs viennent s’entretenir et prendre le public à témoin de leurs émotions.

Quel regard Un mois à la campagne porte-t-il sur ses personnages ?

A.F. : Un peu comme le théâtre de Michel Vinaver, Un mois à la campagne parle de la réalité des êtres, de leurs pulsions, leurs contradictions, leurs désirs, leurs faiblesses, jusqu’à leur pauvreté d’esprit. Tout cela m’intéresse beaucoup. On retrouve cela aussi, plus tard, chez Tchekhov, avec des scènes qui se construisent à l’insu des personnages. Dans Un mois à la campagne, c’est le rapport amoureux qui crée du désordre. Car il engendre des interactions entre des classes sociales qui, normalement, ne devraient pas entrer en relation. Ce mélange est une chose importante, une chose forte. On le retrouve d’ailleurs dans tous les romans de Tourgueniev : que ce soit Roudine, que ce soit Pères et fils

* Texte publié aux Editions de L’Arche.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Un mois à la campagne
du vendredi 9 mars 2018 au samedi 28 avril 2018
Théâtre Déjazet
41 boulevard du temple, 75003 Paris

Du lundi au samedi à 20H30. Relâche le dimanche. Tél. : 01 48 87 52 55. www.dejazet.com

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