La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Tragédie d’un immigrant

Tragédie d’un immigrant - Critique sortie Théâtre Paris ATELIERS BERTHIER
Ivo van Hove, en répétition. Crédit photo : Thierry Depagne

Odéon-Théâtre de l’Europe / Vu du pontOdéon-Théâtre de l’Europe / Vu du pont

Publié le 21 septembre 2015 - N° 236

Après une première version donnée à Londres depuis deux saisons, le metteur en scène Ivo van Hove crée en français Vu du pont qu’Arthur Miller écrit en 1955. Au-delà du fait divers qui se déroule dans le milieu prolétaire italo-américain des années 40, il révèle la tragédie d’un homme ordinaire, incarné par Charles Berling, aux prises avec le conflit inextricable entre loi et justice, désir et réalité.

Vos choix de textes dessinent une autobiographie à peine voilée. Qu’est-ce que Vu du pont livre de vos préoccupations d’artiste et de citoyen ?

Ivo van Hove : Cette pièce évoque la difficulté pour des immigrants de s’adapter à un monde nouveau, les tourments de la clandestinité et les exploitants de misère, à travers un fait divers tragique qui se déroule dans l’Amérique des années 40. Eddie Carbone, fils d’un immigré sicilien, vit à New York avec sa femme et sa nièce de 17 ans, qu’il a élevée comme sa fille. Il travaille honnêtement mais évolue dans une microsociété d’immigrants où règnent les lois de son pays. Le code de l’honneur et la vengeance priment sur la justice. Toute transgression conduit au rejet par la communauté et à la perte d’identité. Son destin bascule lorsque deux clandestins, cousins de sa femme, s’installent chez lui et que sa nièce succombe au charme du cadet. Loin de juger, Arthur Miller dévoile la complexité et les ambiguïtés de la situation d’Eddie, confronté au sentiment trouble qu’il éprouve pour sa nièce, aux règles implacables de la communauté italienne, à la recherche de sa propre identité. C’est un homme ordinaire pris dans l’étau du destin. La force de ce théâtre est de rester ambivalent, d’ouvrir aux questionnements par l’émotion. L’art n’est pas distraction ni jugement, et ni leçon. Pour moi, il ne vise pas à brandir une revendication politique ou éthique. Il doit être subversif, révéler les zones obscures de notre inconscient.

« Les grands textes sont ceux qui respirent avec leur temps ! »

En quoi consiste le travail sur le texte ?

I. v. H. : L’objectivité du texte est une illusion. Une même phrase peut être interprétée de multiples façons. Le sens nait de la lecture qu’on en donne. Je commence par sonder très attentivement le texte, réplique après réplique, scène après scène, pour interroger les significations possibles. Peu à peu se dégage une vision qui donne cohérence à l’ensemble et guide les choix d’interprétation de tel ou tel passage. Ce travail très méticuleux se nourrit de mon expérience de vie. Nous sommes en 2015, la question de l’immigration, brûlante aujourd’hui, ne se pose plus comme en 1940. Les grands textes sont ceux qui respirent avec leur temps !

La dramaturgie américaine, que vous avez déjà abordée plusieurs fois à travers les œuvres de Tennessee Williams ou d’Eugene O’Neill, est empreinte de réalisme et de psychologie. Comment l’extirper du psychologisme et du sentimentalisme ?

I. v. H. : La mise en scène de Vu du Pont croise deux versions de la pièce : la première, en un acte, est composée comme une tragédie grecque, l’avocat relatant l’histoire fatale d’Eddie portant la fonction du chœur ; la deuxième, en deux actes, est plus émotionnelle et psychologique. Avec Jan Versweyveld, le scénographe, nous avons imaginé un espace tri-frontal, abstrait, intemporel, qui évacue les accents mélodramatiques. Avec les acteurs, nous travaillons sur les comportements corporels, nous cherchons un jeu physique, concret et minimaliste.

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

Tragédie d’un immigrant
du samedi 10 octobre 2015 au samedi 21 novembre 2015
ATELIERS BERTHIER
1 Rue André Suares, 75017 Paris, France

à 20h, sauf dimanche 15h, relâche les lundis et le 11 octobre. Tél. : 01 44 85 40 40. A lire : Ivo van Hove, par Frédéric Maurin, éditions Actes Sud-Papiers, 2014.

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