Thomas B.

« Il y a trente ans, je fus subjugué par la pièce de Thomas Bernhard : La Force de l’habitude, dont je fis la création en France, au Théâtre de la Tempête. Depuis, je n’ai plus lâché cet auteur, et il ne m’a plus lâché. J’ai lu à peu près tout ce qui paraissait de lui et sur lui. J’ai vu la plupart des mises en scène de ses pièces. J’ai dirigé des stages de formation sur son œuvre, j’ai fait la création en France d’Une Fête pour Boris, en 2002. Il est l’un des auteurs qui m’a accompagné, nourri, inspiré pendant des décennies. Dois-je avouer que mon rapport à son œuvre est fait d’un mouvement d’attirance-répulsion ? Bernhard prend son lecteur et son spectateur à rebrousse-poil. Il vise à l’irriter, à le rebuter même, et il y parvient.

Du désespoir à la jubilation de vie

Au bout de quelques pages, on a envie de refermer le livre, en se disant : ce ressassement, ce système – car c’en est un – m’est insupportable ! Puis on revient au livre, et on est à nouveau agrippé, fasciné, emporté, d’autant plus si l’on est sensible, ce qui est mon cas, au comique bernhardien. Par son style musical et répétitif, Thomas Bernhard transforme sa philosophie nihiliste en blague décapante. Il réussit la transmutation du désespoir en jubilation de vie. Ma pièce se veut un hommage, ce qui ne signifie nullement embaumement, inconditionnalité, admiration béate. Bernhard, par son espèce de génie d’écrivain, demeure totalement vivant aujourd’hui. Il enseigne qu’il faut toujours débusquer et souligner les failles et les faiblesses des auteurs consacrés. Dans Thomas B., j’applique “cette méthode” à Bernhard lui-même. »

Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat