La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Roméo et Juliette

Roméo et Juliette - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française
La fameuse scène du balcon. Crédit photo : Vincent Pontet

Comédie Française / de Shakespeare / Mise en scène Eric Ruf

Publié le 21 décembre 2015 - N° 239

Eric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, met en scène l’une des plus célèbres tragédies de Shakespeare dans une version bien sage.

Malheureux contretemps… Les destins enlacés de Roméo et Juliette semblent fatalement frappés par les ruses du temps qui sans cesse les empêchent de s’accorder au présent et les rejettent vers les sanglantes querelles d’hier. Nés trop tôt dans un siècle qui voit à peine poindre l’élan humaniste de la Renaissance et l’inquiétude de la conscience moderne, ils se heurtent à l’ordre social régi par la logique immuable des clans et la filiation comme principe d’identité. Eux rêvent d’amour incandescent et de liberté portée par la fougue de leur jeunesse, quand leurs pères ressassent leurs haines rancies depuis des générations et calculent chaque coup. La flamme, qui soudain embrase leurs cœurs, ne pourrait-elle pas brûler les rets de la tradition qui les soumet ? Leur passion fait acte de rébellion : ces deux-là s’émancipent des fers paternels et transgressent les lois du groupe par la force de leur ardeur amoureuse. « Qu’est-ce qu’un nom après tout ? Si celle que nous appelons la rose portait un autre nom ne sentirait-elle pas aussi bon ? » Qu’importe que leurs fratries s’appellent Capulet ou Montaigu, eux se nomment Roméo et Juliette, prétendent exister sans le carcan féodal de leur lignée. Et pourtant… Les amants de Vérone ont beau brûler l’instant pour se sauver du passé et vivre avant que la mort les rattrape, la course des événements trébuche à tout moment sur l’imprévu, arrive toujours trop tôt ou trop tard et précipite la tragédie. « Je l’ai connu trop tard et vu trop tôt sans le connaître. » murmure Juliette…

Revenir à l’œuvre

Souvent emmaillotée dans les soyeux habits de la romance, la pièce légendaire de Shakespeare est plus complexe que le mythe qu’elle est devenue. Le metteur en scène Éric Ruf entreprend de la débarbouiller des onguents qui en ont affadi l’éclat et la rudesse dans l’imaginaire collectif. « Il y un soleil noir dans cette pièce, c’est cela qu’il faut travailler », annonçait-il dans une bonne intention. Mais pourquoi donc situer le drame dans une époque vaguement inspirée de l’Italie des années 30 ou 40 ? Et pourquoi avoir choisi aujourd’hui la traduction de François-Victor Hugo, datée du 19e siècle, qui chantourne joliment les phrases mais gomme le piquant parfois paillard du verbe de Shakespeare, alors que la farce justement désamorce le sentimentalisme qui trop souvent l’enrobe ? Certes, les costumes de Christian Lacroix sont de grande élégance, les décors d’Éric Ruf ont le charme usé des cités décaties qui racontent leur histoire autrefois glorieuse, les rengaines des chanteurs de cœur traînent parmi les vieux souvenirs. On prend aussi plaisir à retrouver les comédiens du Français, notamment Suliane Brahim, qui livre une touchante Juliette. Mais, comme tétanisée par cette esthétique chic, la mise en scène peine à sortir des stéréotypes pour déployer l’âpre tragédie de ces adolescents en quête de leur identité, pour dessiner l’arrière-plan politique qui donne tout son relief à l’œuvre. Éric Ruf finalement en donne une vision sagement classique.

Gwénola David

A propos de l'événement

Roméo et Juliette
du samedi 2 janvier 2016 au lundi 30 mai 2016
Comédie-Française
Paris, France

En alternance jusqu'au 30 mai. A 20h30 en soirée et 14h en matinée. Tél. : 01 44 58 15 15. Durée : 2h45 avec entracte.

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