La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2013 Entretien / Jean Caune

Rénover la construction du commun

Rénover la construction du commun - Critique sortie Avignon / 2013
Jean Caune

Publié le 27 juin 2013 - N° 211

Professeur émérite à l’université Stendhal de Grenoble, Jean Caune a été comédien, metteur en scène et directeur de structures culturelles. Alliant connaissance des pratiques et du terrain et réflexion théorique, il livre des analyses lucides et fécondes sur la situation actuelle de la société et de la culture, notamment dans La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle (PUG, 2006). Il vient de publier Pour des humanités contemporaines. Science, technique, culture : quelles médiations (PUG, 2013).

« L’action culturelle dans notre société en crise devrait viser la construction d’« humanités contemporaines ». »

Vous remarquez que dans les années 60, en faisant de la culture un objet de sa politique, l’Etat se donnait les moyens « d’assurer la cohésion nationale, d’orienter les transformations sociales, de définir des pôles d’identification ». Qu’en est-il aujourd’hui de ce triple but ?

Jean Caune : Pour ce qui concerne la politique culturelle, ces trois objectifs ne sont plus d’actualité ; ils ne sont présents ni dans la pensée ni dans l’intention des acteurs culturels ou des décideurs. Tout d’abord, en raison des transformations socio-économiques de la société, de ses forces actives et de son rapport au monde. Ensuite, en raison des modifications, tout aussi profondes, des relations, d’une part, entre les formes artistiques, les supports de diffusion et de production et, d’autre part, l’insertion et l’appropriation sociales de ces formes et des supports par les secteurs de la population. Je ne parle pas de public, car il me semble nécessaire de distinguer ces deux notions sociologiques (population et public) : il n’y a de public que de quelque chose ; le doublet, public/non public, ne me paraît plus opératoire. Ce qui signifie aussi que la question des nouveaux publics me paraît mal posée si on la formule, comme on le fait implicitement, par l’extension quantitative des publics des institutions existantes.

Reprenons ces trois objectifs, pour en examiner la finalité. D’abord : assurer la cohésion nationale.

J. C. : Nous sommes dans une société à deux vitesses où les fractures, l’exclusion, la disparition de références partagées rend le vivre ensemble plus que problématique, et c’est la question du trait d’union et des formes symboliques qui est posée. Aujourd’hui, l’action culturelle dans notre société en crise, déboussolée, saisie d’une dépression psychique, devrait viser, à mon sens, la construction d’« humanités contemporaines ». Par ce thème, que j’ai tenté de développer dans mon dernier ouvrage, j’entends un ensemble de savoirs, de sensibilités, de comportements, de processus, qui touchent à la construction de la personne et au sentiment de l’appartenance à un « nous ».

Que dire des transformations sociales ?

J. C. : Hier encore, elles étaient à l’horizon de l’action politique et syndicale. Aujourd’hui, dans la crise qui nous prend de plein fouet, le politique est sans vision claire de l’état même du présent, sans parler de son incapacité à se projeter dans un futur immédiat, et l’action syndicale se bat pour préserver l’emploi et les conquêtes sociales. Les transformations sociales se développent aujourd’hui dans les marges des institutions, dans la prise de parole des « semeurs d’alerte », des collectifs artistiques nés dans les friches, dans les expérimentations de nouveaux langages. Ces transformations sont en attente d’expression, d’hybridation, de germination, d’énonciation et de visibilité.

 

Que dire des pôles d’identification ?

J. C. : Maintenant qu’une certaine décentralisation s’est accomplie sur le plan culturel, et que l’État n’est plus la source du rayonnement, il convient de simplifier et de coordonner les lieux de décision administrative (ville, agglomération, département, région), afin d’échapper à l’instrumentalisation de la culture comme politique de l’image de la collectivité. Il s’agit aussi d’inventer des modalités de participation effective des populations et des groupes dans les actions culturelles. De la même manière que le régime de la représentation démocratique a besoin d’une dimension de démocratie participative, la production artistique a besoin d’être confrontée aux pratiques sociales et d’offrir un paramètre de participation aux populations.

Comment permette à la personne de se choisir comme sujet, finalité que vous considérez être celle de la culture ?

J. C. : Aujourd’hui, il s’agit moins de chercher à tout prix une conception nouvelle de la culture ou à faire revivre des débats ou des oppositions telles que culture pour tous ou culture pour chacun, art élitaire ou art de masse, démocratisation culturelle ou démocratie culturelle… Il suffit, mais ce n’est pas si simple, de prendre acte d’un certain nombre de faits. L’innovation artistique, comme rapport sensible et mis en forme, ne se fait plus dans les grandes institutions mais dans leurs marges. L’hybridation des formes domine aujourd’hui le monde de la représentation, l’hybridation et le métissage culturel se développent d’autant plus que le monde contemporain accélère les échanges, les contacts et les emprunts. Il convient de favoriser les pratiques artistiques en prenant acte de la diversité culturelle et des droits culturels de chacun dans une réalité multiculturelle. Cela ne signifie pas accepter la logique du communautarisme. La personne devient sujet de parole et d’action dans sa capacité à sortir des limites que lui impose son groupe. Le commun est à construire, il n’est pas ce qui est déterminé ou porté par la tradition ; le langage artistique fait appel à ce qui doit être mis en partage : de ce fait, le sensible devient intelligible. L’éducation artistique est certainement la voie qui y conduit. Encore faut-il ne pas la concevoir comme commentaire sur l’art ou histoire de l’art. Comment la mettre en œuvre si elle n’est pas  conduite en relation étroite avec des artistes ? Et comment, aujourd’hui, peut-elle se mettre en œuvre dans notre école en crise ? C’est, à mon sens, la question essentielle.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

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