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Classique / Opéra - Entretien PIANOSCOPE / BEAUVAIS

Pic de fièvre à Moscou : entretien avec Lucas Debargue

Pic de fièvre à Moscou : entretien avec Lucas Debargue - Critique sortie Classique / Opéra Beauvais Grange de la Maladrerie Saint-Lazare
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Le pianiste Lucas Debargue, 4ème Prix du dernier Concours Tchaikovski © Jean-Luc Caradec / F451 Productions

Publié le 5 octobre 2015 - N° 236

Sa participation au début de l’été au Concours Tchaikovski de Moscou lui a valu non seulement un magnifique 4ème prix (et le Prix spécial des critiques) mais surtout un engouement exceptionnel de la part du public moscovite. Impressionnés, Valery Gergiev lui a organisé immédiatement un récital à Saint-Petersbourg, et Boris Berezowski, au jury du Concours, l’a invité à partager avec lui le récital d’ouverture du festival Pianoscope de Beauvais. Comment un « petit français » à fleur de peau, personnage fiévreux, tourmenté et captivant de 24 ans, comme sorti d’un roman de Dostoïevski, a vu en quelques jours son destin basculer…

Le fait de remporter un prix dans un concours international est remarquable mais cela reste un phénomène courant. Dans votre cas, il semble s’être passé quelque chose de très spécial à Moscou pendant votre participation au Concours Tchaikovski…
Lucas Debargue :
Ce que je peux dire, c’est qu’il y a eu un engouement du public moscovite autour de mes prestations, notamment à partir du second tour. J’ai joué la Sonate de Medtner et Gaspard de la nuit. J’étais complètement dans la musique, et je n’ai pas totalement réalisé ce qui se passait. Mais la salle était en folie. Le public est resté 20 minutes à m’applaudir, debout, alors que la salle était éteinte. A l’épreuve suivante, avec le concerto de Mozart puis lors de la finale, cela a été la même chose !

Un tel phénomène n’arrive jamais…
L. D. :
L’explication que je peux donner c’est que je suis pas du tout arrivé à Moscou dans l’esprit d’être le meilleur, de remporter une compétition, mais dans celui de faire de la musique. J’ai fait ce que je fais d’habitude. Chercher dans un premier temps le point de concentration qui permet de rendre au maximum le travail de recherche du son, d’élaboration d’une interprétation très précise, très détaillée. Et dans un second temps, à un niveau supérieur, chercher à capter une communication avec le public, un certain niveau de profondeur. Comme si l’interprétation était un cadre et qu’on rentrait ensuite dans la substance. Le son permet de rentrer dans la substance d’une communication avec le public. Et ça je crois que cela a été possible à Moscou. Il me semble avoir déjà atteint un niveau supérieur de communication mais là, à Moscou, cela a eu un retentissement incroyable.

« Le son permet de rentrer dans la substance d’une communication avec le public. »

Etiez-vous dans le lâcher-prise, comme en concert ?
L. D. :
Oui, dès le départ, et jusqu’au bout. La dimension de compétition m’a été utile dans la mesure où je suis quelqu’un de très neveux : le climat qui me sied le mieux est le climat le plus électrique possible. Ce qui est évidemment le cas d’un concours où il y a beaucoup de tension. Je ne me sens pas bien du tout quand l’ambiance est trop cool. Pour moi, jouer un récital demande de tenir un haut niveau de tension. Il doit se passer quelque chose ! Le musicien n’est pas là pour se fatiguer le moins possible et le public pour dormir. Quand on va au concert, on est censé être bousculé. Pas agressé ou violenté mais bousculé…

Vous vous êtes visiblement senti bien à Moscou…
L. D. :
Extrêmement bien. J’ai ressenti à Moscou une attention humaine, une empathie naturelle de la plupart des personnes que j’ai rencontrées. C’est sûrement une folie mais mon rêve serait d’aller vivre là-bas. Je travaillais très efficacement et j’étais respecté en tant que musicien. J’ai vraiment été frappé par cette attention, par cette écoute des russes.

Que s’est-il passé suite à la fin du concours et l’annonce du palmarès ?
L. D. :
Valery Gergiev (directeur du Théâtre Mariinsky, ndlr) m’a offert de jouer la semaine suivante au Mariinsky 3, une salle extraordinaire de 3000 places avec une acoustique de rêve. Je suis le seul candidat à qui il a réservé un tel privilège !

Etes-vous prêt pour la suite, c’est-à-dire la bascule de la vie d’un jeune pianiste parisien vers une activité musicale internationale au plus haut niveau ?
L. D. :
Je ne peux me sentir prêt que par rapport à ce qui se passe à l’intérieur de moi, je suis prêt pour ce qui arrive… C’est un fait que de plus en plus de personnes s’intéressent à mon jeu, et les opportunités de concerts se multiplient. Mais jouer devant 10 ou 3000 personnes, c’est toujours faire de la musique. La notoriété, c’est une affaire de surface, d’extérieur, de quantité. Mais qualitativement la question demeure toujours de faire la meilleure musique possible. Etre le plus généreux possible. Etre prêt le jour du concert. Etre présent au moment où je joue. Tout ça ne changera pas. Et puis la question du succès est à relativiser. L’écho en France n’a pas été le même qu’à Moscou ! Ce qui n’est pas relatif, c’est l’expérience spirituelle que j’ai vécue là-bas. Il faut partir de là !

La rencontre avec votre professeur, Rena Shereshevskaya, à l’Ecole Normale de Paris, a été décisive dans votre parcours…
L. D. :
Oui. J’étais absolument passionné, fou de musique même, mais j’étais aussi très désespéré à l’époque. Sans elle, je n’aurais jamais envisagé les choses professionnellement. En allant vers elle, j’étais beaucoup dans la provocation. Et je ne pensais pas qu’elle allait sérieusement me mettre sur les rails des concours internationaux. Et après deux cours, on s’est lancé pour préparer le Concours Tchaikovski. C’était il y a trois ans.

Au moment où une carrière importante s’ouvre pour vous, que va-t-il se passer avec votre professeur ?
L. D. :
On va continuer à approfondir. J’ai besoin d’elle pour les nouvelles œuvres que j’intègre à mes programmes. Et pour m’accompagner dans la découverte des grandes scènes et la gestion des émotions…

Propos recueillis par Jean Lukas

A propos de l'événement

Pic de fièvre à Moscou
du jeudi 15 octobre 2015 au dimanche 18 octobre 2015
Grange de la Maladrerie Saint-Lazare
Grange de la Maladrerie Saint-Lazare, 203 Rue de Paris, 60000 Beauvais (60).

Jeudi 15 octobre à 20h30. Tél. 03 44 45 49 72. Concert partagé avec Boris Berezowski.
suite de Pianoscope du 15 au 18 octobre, avec aussi Thomas Enhco, Barry Douglas, Hamish Milne, Jean-Bernard Pommier, Ekaterina Derzhavina et Boris Berezovsky.

A l’occasion du récital de Lucas Debargue à la Fondation Vuitton le 24 mars 2016, la suite de cet entretien sera publiée dans notre numéro de mars.

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