La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Othello

Othello - Critique sortie Théâtre
Photo : Alain Fonteray Othello (Samir Guesmi) et Desdémone (Bénédicte Cerrutti), amour et mort.

Publié le 10 novembre 2008

Une magnifique dentelle noire araignée pour la scénographie ouvragée et glacée d’Éric Vigner. La tragédie shakespearienne vogue sur les méandres dangereux de la passion et d’un pouvoir à conserver. Avec la femme au cœur des désirs virils.

« On est toujours jaloux de deux personnes à la fois, je suis jaloux de qui j’aime et de qui l’aime », écrit Barthes via Fragments d’un désir amoureux. Dans Othello de Shakespeare, on reconnaît aisément Iago (Michel Fau au verbe déjeté dont il semble toujours vouloir se débarrasser), le fieffé rusé, félon et déloyal. C’est le porte-enseigne envieux du général républicain Othello (stature sereine et princière de Samir Guesmi) et de son lieutenant florentin Cassio (Thomas Scimeca décontracté), dont il convoite le poste. Mais Othello, le Maure converti au panache nomade en partance pour Chypre à défendre contre les Turcs, est vite jaloux de sa belle chrétienne Desdémone (Bénédicte Cerrutti, voix boudeuse et profonde) et des regards portés sur elle par Cassio. Le sentiment douloureux de la jalousie est vu comme une équation à trois termes, retraduit par Rémi de Vos et Eric Vigner. Il fallait se pencher, à la lumière de notre histoire et en les radicalisant au goût du jour, sur les relations masculines et féminines, berbères et chrétiennes, issues des continents blanc et noir. L’occasion d’un zoom sur le racisme ambiant à travers la peur de l’étranger, la crainte de ce que « Esclaves et païens finiront par nous gouverner ».

Le fameux mouchoir est une pièce maîtresse de ce métier à tisser

De ces nœuds enchevêtrés que nourrit un sentiment hostile né de l’envie – désir de possession exclusive, crainte, soupçon d’infidélité -, résultent les figures récurrentes de perdants prédéterminés. Sont mis hors-jeu et sans surprise le rude Othello et la blanche Desdémone, femme qui tend la main à la différence et au dialogue entre cultures et religions. Si une passion inquiète tisse son fil tragique, le fameux mouchoir est une pièce maîtresse de ce métier à tisser pervers. Éric Vigner, metteur en scène, scénographe et costumier, s’est emparé de cette soyeuse métaphore carrée, objet précieux d’Othello volé à Desdémone par Iago, pour s’amuser de tous les imbroglios. L’image du mouchoir que l’on plie puis déplie est tour à tour paroi murale aux dessins mauresques ou ombre de gratte-ciel de City financière aux mille fenêtres éclairées dans la nuit des terroristes. Un transparent de ciel bleu lumineux ouvre au jeu vivant d’une partie d’échecs installée sur un disque noir avec rois, reines et soldats sculptés, des ombres fantasques chamarrées de noir et blanc, vêtues de la lourde fourrure des grands. Deux passerelles maritimes évoquent la puissance guerrière des Vénitiens en posant la question de la suprématie de l’Occident mis à mal. Un Othello d’actualité. 

Véronique Hotte 


Othello de William Shakespeare, mise en scène Éric Vigner, du mardi au samedi 20h, dimanche 15h, du 6 novembre au 7 décembre 2008 à l’Odéon Théâtre de l’Europe place de l’Odéon 75006 Paris Tél : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.fr Texte publié aux Editions Descartes et Cie. Spectacle vu au CDDB – Théâtre de Lorient.

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