La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Nicolas Lambert / Le Maniement des larmes

Nicolas Lambert / Le Maniement des larmes - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
Crédit photo : Un Pas de Côté / Erwan Temple

Théâtre de Belleville / de et par Nicolas Lambert

Publié le 30 août 2016 - N° 246

Nicolas Lambert présente le dernier volet de la trilogie Bleu-Blanc-Rouge : après le pétrole et le nucléaire, il enquête sur la troisième source de richesse française, l’armement. Au cœur de « l’a-démocratie », le théâtre résiste comme un des derniers médias libres.

« Douze mille mots, deux heures, trois parties et que des faits. »

 Quelle est l’actualité de ce spectacle et des questions qu’il soulève ?

Nicolas Lambert : Après l’avoir créé en octobre dernier à Mâcon, nous l’avons joué à partir du 13 novembre au Grand Parquet : les attentats avaient vidé la salle et très peu de gens l’ont vu. Pourtant, ce spectacle soulève des questions qui sont au cœur de l’actualité. Si nous abandonnons ces questions – et en particulier celles qui concernent la défense – à la partie la plus autoritaire de l’échiquier politique, il faut en accepter les résultats ! Or, même si c’est le mantra du moment, ce n’est pas parce que la France est ce qu’elle est, que lui arrive aujourd’hui ce qui lui arrive, mais bien à cause de ce qu’elle fait. Quand un camion massacre des dizaines de personnes à Nice et que le président de la République intervient une heure après à la télévision pour annoncer l’intensification des bombardements en Irak et en Syrie, il n’est pas sûr que les citoyens se rendent compte qu’on continue de bombarder des pays souverains en leur nom… Et il est encore moins sûr que cette politique-là, menée depuis vingt-cinq ans, soit efficace. Le constat est cruel et pourtant implacable : comme on le dit dans les couloirs des services secrets, il y a plus de gens qui vivent du terrorisme que de gens qui en meurent… C’est un point aveugle pour bon nombre d’entre nous, qui rechignons à interroger la situation et préférons laisser les politiques s’en occuper, pour le pire plutôt que pour le meilleur.

S’agit-il de se faire lanceur d’alerte avec ce spectacle ?

N. L. : Je débusque les questions qu’on doit se poser et je propose des éléments qui permettent d’y réfléchir : sur notre légitimité à exploiter le pétrole et à imposer le nucléaire, et sur la façon dont le pouvoir finance sa vie politique par la vente d’armes. J’ai évidemment des opinions, mais je ne les impose pas au plateau, ce n’est pas mon métier d’homme de théâtre. La Défense nationale doit-elle servir à autre chose qu’à défendre la nation ? La question semble tautologique, mais il n’est pourtant pas inintéressant de la poser ! Quand la France intervient dans des pays aux importantes ressources énergétiques, est-ce vraiment pour des raisons humanitaires ? La France n’intervient que dans des pays énergétiques, et pourtant, il n’y a pas que ceux-là qui ont des problèmes de démocratie ! Quand François Hollande devient chef de guerre au Mali, en Centrafrique, etc., jusqu’en Lybie, il faudrait peut-être tenir au courant le peuple souverain des résultats et des possibles conséquences de ces actes. Le peuple est en droit de poser des questions, et le théâtre a le devoir de se saisir de la scène comme un des derniers médias libres. Il faut interroger le pouvoir. Nous avons une vraie responsabilité dans ce qui nous arrive. Si on laisse les industriels et les marchands de canons nous informer, et qu’on laisse faire les politiques qu’ils financent, il ne faut pas s’étonner de ce qui nous arrive.

Comment vous êtes-vous documenté ?

N. L. : Je suis allé à plusieurs salons de l’armement, j’ai rencontré des gens concernés par ces affaires-là (militaires, anciens ministres, etc.). J’ai beaucoup lu, beaucoup appris. A partir de ce matériau documentaire, il faut trouver ensuite en qui l’incarner, puisqu’il s’agit de faire du théâtre. Chaque spectacle donne des réponses aux questions posées par les autres, car ces trois thèmes sont liés. Les trois spectacles forment une boucle. On peut les voir dans la foulée, comme les trois parties d’un tout. Ensemble, ils prennent encore un autre sens.

Quelle est la place de la musique dans ce spectacle ?

N. L. : La musique fait partie de ma façon de penser. Dans Le Maniement des larmes, elle est omniprésente. Elle est indispensable car elle permet au spectacle de parler à plusieurs endroits du cerveau. Trois musiciens jouent en alternance : Eric Chalan (qui a créé la musique), Hélène Billard et Jean-Yves Lacombe. Ils jouent sur les instruments créés par Yves Descloux. Egalement sur scène, et en alternance, Frédéric Evrard et Erwan Temple: la régie se fait au plateau. On dissèque des écoutes téléphoniques, et je m’extrais régulièrement de la table pour jouer tous les personnages. Cette forme est aussi un hommage à la radio, mon média préféré.

Dans quelle mesure ces trois spectacles sont-ils à voir ensemble ?

N. L. : Dans les trois spectacles, la structure est toujours la même : douze mille mots, deux heures, trois parties et que des faits. Je me contente de rappeler les faits et les propos en les replaçant dans leur contexte, et cela doit permettre à chacun de se faire une opinion, et éventuellement d’éclater de rire, tellement les situations sont énormes ! Et un éclat de rire vaut bien un éclat d’obus ! Trois personnes mènent le spectacle : un régisseur, un musicien, un comédien. Au plateau, il y a une personne dans Elf, la Pompe Afrique, deux dans Avenir Radieux, une fission française, et trois dans Le Maniement des larmes. Le costume est toujours le même, et le décor s’organise toujours autour du même bidon, qui vaut comme symbole de cette « a-démocratie ».

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Maniement des larmes
du mercredi 14 septembre 2016 au dimanche 4 décembre 2016
Théâtre de Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris, France
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