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Musiques Métisses : rencontre avec Véronique Appel

Musiques Métisses : rencontre avec Véronique Appel - Critique sortie Jazz / Musiques

Publié le 2 mai 2013 - N° 209

Les 17, 18 et 19 mai à Angoulême. www.musiques-metisses.com

Quelle couleur spécifique avez-vous voulu donner à cette nouvelle édition?
Véronique Appel : En premier lieu, rendons à César… Christian Mousset, fondateur du festival en 1975 et directeur jusqu’à la fin 2010 ne nous a heureusement pas abandonnés et continue de mitonner la programmation en lien avec l’équipe. Nous avons voulu une édition très festive et joyeuse, pour tenter de rompre avec la morosité ambiante et les difficultés que nous connaissons tous. Une édition qui transmette de l’énergie de vie avec une programmation qui navigue entre les Balkans et l’Afrique en passant par les USA, avec des phares comme Goran Bregovic, Alpha Blondy ou encore Groundation, mais également des artistes moins connus du grand public qui ont réussi à créer leur propre univers musical dans le sillage des précédents, et aussi de tout jeunes qui font déjà beaucoup parler d’eux, comme Skip&Die par exemple, dont la chanteuse sud-africaine brasse avec brio et dans la bonne humeur hip-hop, électro, rock, cumbia… Pour ce qui est des risques, je crois qu’un festival c’est chaque année un nouveau pari. D’abord à cause de la météo qui est un paramètre très important sur lequel nous n’avons aucune prise. Ensuite, parce qu’il n’y a pas de recette miracle. Vous pouvez faire un vrai succès public tout en réalisant un déficit en raison de la fortune que vous aura coûtée le cachet de l’artiste, si c’est un grand nom de la pop par exemple… Alors nous conservons notre cap en gardant les oreilles ouvertes ! A Musiques Métisses nous avons un fonctionnement particulier puisque seule la grande scène y est payante. Tout le reste du festival est en accès gratuit et évidemment ça compte aussi dans le succès de notre manifestation. Je ne sais pas si nous pourrons continuer comme ça mais l’espace gratuit, que nous appelons « le village » offre, entre autres, une scène musicale dédiée aux découvertes et des espaces toujours métissés consacrés à d’autres disciplines comme le spectacle tout public à vivre en famille avec les plus petits mais aussi l’espace Littératures Métisses dont la programmation, réalisée par Bernard Magnier, permet à tous de rencontrer des auteurs d’horizons très différents.

Outre les concerts, le festival multiplie les rencontres, les ateliers, les déambulations, les débats, les animations, les projets hors les murs… Qu’apportent ces espaces de circulation des cultures du monde ?

Véronique Appel : Dans un contexte économique particulièrement rude, qui conduit souvent au repli sur soi et à l’enfermement, il nous semble primordial de mettre en avant les bienfaits de la diversité culturelle, sous toutes ses formes. Le métissage, éternelle richesse, est source de dynamisme, d’ouverture et de créativité, un espoir de renouveau. Nous tentons de partager cette conviction profonde avec tous les publics, de toutes générations, convaincus que nous, occidentaux, avons toujours beaucoup à apprendre d’autres cultures que nous avons longtemps ignorées, voire méprisées. Le foisonnement de propositions, toutes basées sur ces principes d’ouverture et de diversité, attire des publics très différents et c’est absolument réjouissant de vivre ce brassage de population, dans une ambiance festive et conviviale, car c’est grâce à cela que nous pouvons bâtir ensemble les indispensables remparts aux communautarismes. Et pour les plus jeunes, qui, pour la plupart, découvrent le monde via internet et les réseaux sociaux, c’est à dire à travers des relations virtuelles, c’est l’occasion de rencontrer, ici et concrètement, un ailleurs qui leur est inconnu dans le monde réel, la puissance du spectacle vivant.

Comment évolue le festival ?

Véronique Appel : C’est devenu très compliqué pour l’ensemble du secteur. Nous avons la chance d’être financés de façon constante par les collectivités locales : Région Poitou-Charentes, Département de la Charente, Grand Angoulême et Ville d’Angoulême qui savent l’importance du travail qui est réalisé sur le territoire, et également les sociétés civiles. Mais par ailleurs, la DRAC nous annonce à moins de 2 mois du festival une baisse de financement de 25%. Nous espérons encore aujourd’hui une annulation de cette décision qui nous met réellement en péril. Bref budgétairement parlant c’est extrêmement difficile. Nous travaillons depuis plusieurs mois sur l’évolution du festival qui est une nécessité, et pas seulement pour des raisons économiques. 38 ans, c’est impressionnant mais ça fait un peu dinosaure ! Quand le festival a débuté, on écoutait la musique sur des vinyles, il n’y avait ni téléphone portable, ni informatique, et encore moins internet et les réseaux sociaux… la préhistoire en quelque sorte pour un jeune d’aujourd’hui ! Bref notre société a connu des changements qui modifient totalement notre rapport au monde. Nos festivals sont comme de petits îlots d’une époque révolue que certains fréquentent avec nostalgie et d’autres avec la curiosité pour un temps qu’ils n’ont pas connu. La difficulté consiste à amorcer l’évolution tout en préservant les fondamentaux. Nous y travaillons actuellement et c’est un défi passionnant que nous relèverons avec enthousiasme en 2014 puisque, comme l’écrivait Edouard Glissant, « tout change en s’échangeant » !

Votre programmation est largement tournée vers les musiciens africains. Pourquoi ce parti pris?

Véronique Appel : C’est plus qu’un parti pris, c’est la résultante de l’histoire. Christian Mousset a été un des premiers à programmer les musiciens africains en Europe. Vous seriez étonnés par le nombre d’Africains qui connaissent Angoulême, justement par le fait que Christian a ouvert la porte de l’Europe à de grandes carrières. Certains se souviennent du 1er concert de Johnny Clegg en 1986 à Angoulême, ou bien de Myriam Makeba, Salif Keïta et bien d’autres… Et puis il faut quand même rappeler que l’Afrique est le berceau de courants musicaux majeurs, dont nous nous nourrissons encore aujourd’hui. Le continent est vaste et artistiquement très riche et diversifié. On n’en fera jamais le tour ! A l’heure où notre vieille Europe vit tant de difficultés, il est temps de changer nos regards d’occidentaux sur l’Afrique et d’évoluer avec elle et non plus à ses dépends. Et malgré notre passion pour ce continent, nous restons attentifs à d’autres courants et accueillons régulièrement des artistes venus d’Asie, d’Europe centrale, d’Amérique latine, de la Caraïbe….


Si vous deveniez d’un seul coup spectatrice de votre propre festival, et que vous ne pouviez n’assister qu’à un seul concert, lequel choisiriez-vous et pourquoi?

Véronique Appel : Christian ayant concocté une programmation riche de découvertes et de retrouvailles, il m’est tout à fait impossible de faire un choix d’ordre musical. Donc pour répondre tout de même à la question, je choisirais le concert de Black Bazar à 0h30 au Mandingue (scène gratuite) le dimanche 19 mai. En premier lieu, parce qu’ils mettent le feu et qu’il n’y a rien de tel que la rumba congolaise pour me faire danser ! Ensuite parce que ça me permettrait d’apprendre (juste avant le concert) qui de Zé Luis, Takeifa ou Jupiter a remporté le Prix Musiques des Régions Francophones. Et enfin parce que ça m’offrirait la possibilité de partager la clôture du festival avec l’ensemble de l’équipe, salariés et bénévoles ; parce qu’il faut bien savoir que nos évènements continuent d’exister grâce à l’implication d’individus convaincus et généreux, et j’ai même envie de dire militants dans le contexte actuel, capables de se mettre au service de l’intérêt général. Alors je ne voudrais pas rater l’occasion de vivre les derniers instants de cette 38ème édition en leur compagnie, ciment indispensable à la réussite de la prochaine !

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec

A propos de l'événement


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