La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 - Entretien Kelly Copper

Life and Times : une vie à partager

<i>Life and Times</i> : une vie à partager - Critique sortie Avignon / 2011

Publié le 10 juillet 2011

The Nature Theater of Oklahoma : un nom comme un appel prometteur et mystérieux, tiré du roman inachevé de Kafka L’Amérique. La compagnie new-yorkaise de Kelly Copper et Pavol Liska conjugue danse, musique, chant et performance pour transformer le quotidien en œuvre d’art scénique, en communion avec le public.

Pouvez-vous décrire votre projet intitulé Life and Times ?
 
Kelly Copper : Life and Times se compose d’une série de dix épisodes, vaste épopée dont nous programmons seulement les deux premiers volets au Festival d’Avignon. Dans ce projet, la langue provient entièrement de conversations téléphoniques enregistrées dans lesquelles Pavol a demandé à notre conceptrice son Kristin Worrall une simple question : « Peux-tu me raconter ta vie ? » A la fin de la première conversation, qui a duré deux heures, Kristin est arrivée à l’âge de… huit ans, ce qui a fourni le matériau du premier épisode. Les neuf autres conversations, d’une durée de seize heures, ont permis d’arriver à son âge du moment, 34 ans. Nous avons été épatés par la densité de cette narration, chez quelqu’un dont la vie ne recèle rien de particulièrement dramatique, et nous avons voulu inventer une oeuvre d’art totale, n’incluant pas seulement de la musique et de la danse (comme dans ces deux épisodes) mais aussi de la vidéo, de l’art visuel, etc. Nous voulons proposer pour chaque épisode une esthétique différente. Il faudra environ 24 heures pour jouer l’intégrale, que nous espérons achever aux alentours de 2020. 
 
« Les acteurs sont des artistes engagés dans un dialogue avec le public, utilisant leur voix, leur corps, une multitude de stratégies. »
 
Quelles périodes de la vie recouvrent ces deux épisodes ?
 
K. C. : Dans le premier épisode, on voit une personne grandir de la naissance à la petite enfance. Au début tout se rapporte à soi – famille, objets, environnement -, jusqu’à l’entrée à l’école. Cet épisode recèle une multitude de petits moments importants. L’épisode 2, de 8 à 14 ans, est davantage relié aux difficultés à trouver ses repères dans différents groupes. La chorégraphie est très différente dans les deux opus. Dans le second, l’idée chorégraphique du chœur permet de travailler le décalage, la place de l’individu au sein d’un groupe.
 
Comment procédez-vous pour adapter les 16 heures d’enregistrement ?
 
K. C. : Le discours n’est pas changé ou réarrangé. Nous n’avons pas corrigé le langage pour le rendre plus joli ou qu’il sonne mieux, il est comme il est. Chaque mot est là. La structure générale ne constitue pas un cheminement progressif jusqu’à une révélation, mais montre l’éclosion progressive d’événements reliés entre eux, pas toujours dans un ordre chronologique. C’est ce qu’on fait toujours dans les conversations : on rebondit d’une histoire à l’autre, on procède par associations, etc. Cela ne correspond pas du tout à une structure dramatique normale, et nous jouons sur cette différence entre ce que le public attend et ce que nous proposons. Cela crée une tension féconde.
Qui sont les personnages de la pièce ? Quel genre de relations nouent-ils ?

K. C. : Il n’y a pas de personnages dans notre spectacle. Les acteurs sont seulement eux-mêmes non pas de façon naturaliste mais à un état d’attention exacerbé. Ils ne jouent pas à être quelqu’un d’autre. La pièce n’est pas un spectacle sur Kristin, une représentation de sa vie, mais chacun d’entre nous a canalisé le langage qu’elle nous fournit comme si c’était sa propre histoire. Nous avons travaillé très dur pour cela. Les acteurs sont des artistes engagés dans un dialogue avec le public, utilisant leur voix, leur corps, une multitude de stratégies. Ils sont présents à 100%. Nous leur demandons de s’engager émotionnellement, afin de faire du texte "très privé" un objet public.
 
Comment utilisez-vous les mots pour créer le spectacle ?
 
K. C. : Tout est chanté dans l’épisode 1 et presque tout dans le 2, ce qui est en soi une façon épique de transformer cette langue. Chanter cette langue est un comportement complètement spectaculaire et irréaliste, déconnectant la langue de tout contexte terre-à-terre. Cependant, chanter n’est pas la seule manière de transformer ce matériau. Les acteurs mettent en avant certains détails dans la langue, ils testent les limites émotionnelles que le matériau peut porter, ils dansent. Mais l’élément le plus important pour moi, c’est la durée. Après une heure de performance, un type d’attention différent émerge, parmi les acteurs qui ont déjà dépensé beaucoup d’énergie et parmi le public. La valeur initiale de divertissement à l’écoute de cette langue chantée s’évanouit, il vous reste l’insistance nue de l’acte, l’endurance dévotieuse, et c’est ce qui m’intéresse beaucoup. Cette endurance dans le temps en compagnie de cette vie très ordinaire ouvre la réflexion sur l’idée de temps dans nos vies de façon très profonde.

Propos recueillis et traduits par Agnès Santi


Festival d’Avignon. Life and Times : Episode 1, conception et mise en scène Kelly Copper et Pavol Liska, les 9,10, 12, 13, 15 et 16 juillet à 19h. Durée : 3h30. Cloître des Célestins.  Life and Times : Episode 2, mêmes dates à minuit. Durée : 2h. Tél : 04 90 14 14 14.

A propos de l'événement


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