La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Travailleurs de la mer

Les Travailleurs de la mer - Critique sortie Théâtre
La tendresse émue d’une fin de veillée passée à écouter une histoire merveilleuse et terrible.

Publié le 10 octobre 2009

Paul Fructus réussit une remarquable adaptation des Travailleurs de la mer, de Victor Hugo, qu’il interprète avec un sens du rythme, un art de la démesure épique et une émotion éblouissants.

En traçant un jour le nom de Gilliatt dans la neige, la jeune et jolie Déruchette a, à tout jamais, inscrit le sien dans le cœur de l’austère et solitaire marin qui poussera jusqu’au sacrifice la dévotion secrète et intense qui enflamme son âme de titan. Accroché entre ciel et terre sur les rochers des Douvres, il y affronte les éléments, la pieuvre meurtrière, la faim, la soif et lui-même pour y récupérer la machine à vapeur de la Durande, le steamer échoué de Mess Lethierry qui a promis la main de sa nièce à qui lui rapporterait son bien. Le projet de Paul Fructus d’adapter à la scène cette œuvre gigantesque et de faire entrer dans les limites de son jeu solitaire et d’un plateau étroit toute l’immensité de ce roman, qui emprunte à la mer ses dimensions et sa puissance, est une gageure qu’il relève avec une intensité rare et un pari à la mesure de celui de Gilliatt. Car le comédien se fait Gilliatt non seulement par la force de l’interprétation et de l’évocation, mais aussi parce que, à l’instar du marin forgeant des anneaux grossiers et des poulies formidables pour arracher le trésor mécanique à son tombeau maritime, Paul Fructus triture, transforme, soude le matériau théâtral en artisan inspiré pour faire naître d’une scène devenu creuset diabolique un chef-d’œuvre époustouflant.
 
Un comédien protéiforme faisant feu de tout bois
 
Patrick Fournier à l’accordéon et Jean-Louis Morell au piano accompagnent Paul Fructus et participent avec talent à l’évocation de ce combat entre l’ange ténébreux et les démons maritimes et amoureux qui l’affligent. D’un filet de pêche, Paul Fructus fait naître la mer et ses courants, la pieuvre et ses rets ; de quelques morceaux de bois et de fer, il construit le calvaire de Gilliatt ; d’un bonnet, il change de personnage ; d’une minuscule lanterne, il évoque la menace ou l’espoir ; et de la seule puissance de son jeu, il réussit à camper tous les habitants de ces terres balayées des tempêtes, austères et rudes, résistantes et rugissantes comme le vieil Hugo qui avait choisi d’en faire son asile. L’adaptation du texte est remarquable et Paul Fructus dompte le rythme de ses périodes et la prodigalité de son verbe avec une énergie formidable. Et quand vient le temps de l’épilogue où Gilliatt voit lui échapper le fruit promis de son labeur et s’enfuir celle pour laquelle il a dompté les cavales du ciel et l’hydre des profondeurs, le comédien sait retrouver la douceur et la tendresse émue d’une fin de veillée passée à écouter, éberlué, tétanisé et haletant, une histoire merveilleuse et terrible. On passe devant ce spectacle un extraordinaire moment qui fait remonter de l’enfance tout le bonheur archaïque des premiers émois littéraires. Un homme est là face à nous et raconte. Un homme océan. Il crée un monde par la seule force des mots et du souffle. Enorme !
 
Catherine Robert


Les Travailleurs de la mer, d’après Victor Hugo. Adaptation et jeu de Paul Fructus ; mise en scène de Daniel Briquet. Du 17 septembre au 21 novembre 2009. Jeudi, vendredi et samedi à 19h. Théâtre Clavel, 3, rue Clavel, 75019 Paris. Réservations au 06 42 46 78 46.

A propos de l'événement


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