La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les particules élémentaires

Les particules élémentaires - Critique sortie Théâtre Paris ATELIERS BERTHIER
Les comédiens tiennent la juste distance avec les personnages. Crédit photo : Simon Gosselin

Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier / D’après Michel Houellebecq / Julien Gosselin

Publié le 12 octobre 2014 - N° 223

Julien Gosselin et sa troupe s’emparent du roman de Michel Houellebecq et en donnent une adaptation qui fut l’un des succès du Festival d’Avignon 2013.

« Cette pièce est avant tout l’histoire d’un homme, qui vécut la plus grande partie de sa vie en Europe occidentale, durant la seconde moitié du XXe siècle. Généralement seul, il fut cependant, de loin en loin, en relation avec d’autres hommes. Il vécut en des temps malheureux et troublés. ». En quelques phrases accrochées en prologue, voici condensé le désarroi d’une destinée, exemplairement banale. Celle de Bruno, né d’une époque libertaire, enfant fourgué à la grand-mère aimante, puis adolescent complexé relégué en pension, abandonné aux assauts brûlants des hormones, puis adulte en quête obstinée de jouissance, s’essayant à toutes les modes de « développement personnel ». Soit le tracé d’une vie, frappée par l’impératif de plaisirs, l’individualisme décontracté et la logique de consommation, finalement perdue dans la solitude et le manque d’amour. En parallèle, son demi-frère Michel, scientifique renommé, tout autant noyé dans la misère affective, se retire du monde et poursuit ses recherches sur une reproduction humaine affranchie des nécessités de l’accouplement. Réjouissante perspective de l’espèce…

Libéralisation et désillusions

Dans Les Particules élémentaires (1998), Michel Houellebecq pique au vif les comportements de l’homme occidental qui croupit dans la supérette désespérément tiédasse de l’existence. Ecrivain de la souffrance ordinaire, il taille le portrait d’une société rincée du sel de l’idéal, qui érotise même le café moulu et pousse les ressorts du désir et du calcul égoïste jusqu’aux plus douloureux effets. Ainsi de la paupérisation sexuelle qu’engendrent la libéralisation des mœurs et l’emprise des lois du marché sur le sexe ou de l’inévitable concurrence sauvage qui écrase impitoyablement les petits gros moches sous les canons de la beauté étalonnée. C’est tout l’attrait de l’adaptation signée Julien Gosselin que de révéler les nuances contrastées du roman, tout à la fois féroce, drôle et poignant, nihiliste aussi. Transposée en théâtre-récit, cette vaste traversée nous promène entre le présent de la narration, situé en 1998, le sillage passé des années 68 et le futur, un siècle plus tard. Elle est portée en scène par une jeune troupe qui lui donne un souffle d’épopée collective et inscrit en perspective l’ombre noire des mutations sociétales. Le dispositif est simple : un plateau couvert d’herbe verte, des micros, de la musique, des vidéos, parfois tournées en direct, et la présence continuelle des comédiens qui tiennent la distance juste et donnent sans raillerie le pathétique de cette débandade du genre humain. Peut-être édulcorent-ils le cynisme mais ils libèrent l’émotion d’entre les mots : ils dévoilent les blessures d’enfance, les errances dans la civilisation, le pilonnage de l’humanisme sous l’oppression de la performance obligatoire et de l’hédonisme à tout prix… Ils disent la tristesse de la chair sans âme et la profonde mélancolie qui gagne. Parce qu’« en définitive, la vie vous brise le cœur. »

Gwénola David

A propos de l'événement

Les particules élémentaires
du jeudi 9 octobre 2014 au vendredi 14 novembre 2014
ATELIERS BERTHIER
1 Rue André Suares, 75017 Paris, France

à 19h30, dimanche à 15h, relâche lundi. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 3h40. Tournée en cours, dont le 9 décembre au Cadran, scène nationale d'Evreux-Louviers, dans le cadre du festival Automne en Normandie. Spectacle vu lors du Festival d’Avignon 2013.

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