La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Fils prodigues

Les Fils prodigues - Critique sortie Théâtre Lieusaint Théâtre Sénart - Scène Nationale de Lieusaint
Johanna Hess et Vincent Mourlon. © Rodolphe Gonzalez

Région / Le Maillon / de Joseph Conrad / de Eugène O’Neill / mes Jean-Yves Ruf

Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

Jean-Yves Ruf réunit deux pièces, Plus qu’un jour de Joseph Conrad, et La Corde d’Eugène O’Neill, dans un diptyque où il explore la relation filiale et l’échec de la transmission. Une mise en scène picturale et implacable au service d’une langue aussi rugueuse que belle.

Quand on est amoureux d’un auteur, quand on pense avoir lu toute son œuvre, quel plus beau cadeau du ciel que d’en découvrir un texte totalement inconnu ? En l’occurrence, le ciel a pris la figure d’un ancien comédien de Jean-Yves Ruf, qui offre un jour au metteur en scène féru de Joseph Conrad Plus qu’un jour. Une pièce courte, sorte de parabole sur un père qui attend son fils parti depuis 16 ans. Lorsque celui-ci revient, le père a tant fantasmé les retrouvailles qu’il ne le reconnaît pas. En regard, Jean-Yves Ruf puise dans l’œuvre du prix Nobel Eugène O’Neill dont La Corde narre aussi l’histoire d’un fils de retour au foyer après 5 ans d’absence. Symbole de toute sa haine pour ce rejeton qui lui a volé ses économies, une corde que le père a accrochée en plein milieu de la grange, rappelant qu’en cas de retour, il souhaiterait que son fils se pende devant lui. La fin – absolument géniale – révélera toute l’ambiguïté de cette corde. Parce que les points communs entre les deux œuvres, le thème du fils prodigue en tête, sont multiples (la solitude, l’argent, l’échec de la transmission, la place de la femme, la violence…), Jean-Yves Ruf les a conçues comme un véritable diptyque.

 Apreté des relations humaines

L’unité commence par la distribution, les mêmes acteurs jouant pour la plupart dans les deux pièces, et se poursuit avec un univers pictural homogène sinon semblable. Le parti pris est celui de la simplicité : dans la première, deux façades de maisons, dans la seconde, quelques poutres et cubes en tôle suffisent pour évoquer l’âpreté des relations humaines et leur donner l’atemporalité d’une légende ou d’un mythe. De temps en temps, la vidéo fait une incursion pour souligner les non-dits ou revivre le passé. Il y a aussi la mer, d’abord discrète puis centrale. Comme dans certains opéras de Benjamin Britten (Billy Budd ou Peter Grimes), elle symbolise tour à tour l’appel du grand large, la sensualité, mais aussi, en contrepoint négatif, la solitude et les abysses. Son grondement rivalise avec la musicalité de la langue de Joseph Conrad et d’Eugène O’Neill, dans la remarquable traduction de Françoise Morvan. Une traduction pensée pour la scène et grâce à laquelle les comédiens peuvent révéler des facettes variées de leur jeu. Jean-Yves Ruf ne fait aucune concession à la rugosité des textes tout en insufflant de jolis moments de poésie. Si sa mise en scène gagnera sans doute en rythme au fil des représentations, elle exprime d’ores et déjà le travail sincère d’un artiste en parfaite connivence avec ces deux grands maîtres en cruauté que sont Conrad et O’Neill.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Les Fils prodigues
du mardi 20 mars 2018 au mercredi 21 mars 2018
Théâtre Sénart - Scène Nationale de Lieusaint
8-10 allée de la Mixité, Carré Sénart, 77127 Lieusaint

Tournée : 4, 5, 6 et 7 avril 2018 à la Comédie de Picardie à Amiens ; 17, 18 et 19 avril 2018 à la Comédie de l’Est, CDN de Colmar. Spectacle créé et vu au Maillon, Théâtre de Strasbourg scène européenne, le 17 janvier 2018. Durée : 1h50.

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