La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Les Caprices de Marianne

Les Caprices de Marianne - Critique sortie Théâtre Paris La Tempête
Frédéric Bélier-Garcia. Crédit photo : Thierry Bonnet

Reprise / La Tempête / d’Alfred de Musset / mes Frédéric Bélier-Garcia

Publié le 25 octobre 2016 - N° 248

Frédéric Bélier-Garcia met en scène Les Caprices de Marianne, de Musset : une histoire simple et cruelle pour un spectacle brutal et mélancolique qui ausculte un désarroi qui ressemble au nôtre…

Pourquoi Musset ?

Frédéric Bélier-Garcia : C’est le premier classique français que je mets en scène. J’ai toujours eu un goût pour Musset, cette âme damnée du siècle. Mis à part Balzac, les mentors de notre modernité (d’Hugo à Rimbaud) lui ont toujours reproché son âme trop féminine, trop hystérique. Musset, ce n’est ni une pensée ni un discours, c’est une humeur primordiale, comme il y a des couleurs élémentaires, que l’on peut nommer « l’adolescence », « le romantisme ». Ici parle une part de nous-mêmes qui, dans nos mues successives, apparaît, disparaît sous les poussières du quotidien, de l’expérience. Musset a ça en partage avec Fitzgerald, par exemple : il fait partie de ces écrivains qu’on peut  aduler ou trouver insupportables à un moment ou un autre de notre route dans l’existence, comme une couleur vive, jugée vitale un jour, criarde un autre. Mais il y a quelque chose de terrible dans son théâtre, qui me séduit infiniment plus que l’esprit de Marivaux. Dans Les Caprices de Marianne, un jeune homme décrit une jeunesse qui ne sait pas quoi faire d’elle-même.

« Les Caprices de Marianne, petit joyau, geste d’humeur et de violence. »

Comment décrire cette jeunesse ?

F. B.-G. :L’alternative est toujours la même en ces temps sans grandes causes évidentes : cynisme ou fanatisme. Ce qui s’exprime ici dans le registre amoureux pourrait tout aussi bien l’être dans le politique ou le religieux. Musset oppose en Octave et Coelio deux manières de s’acquitter du métier de vivre, quand on ne sait pas quoi faire de soi dans le monde. Les uns carbonisent leur vie dans les plaisirs, l’alcool ; les autres ne parviennent à se sentir exister que dans l’exagération fanatique d’un dévouement amoureux. L’amour, l’intime, reste le seul lieu d’excitation possible, puisque les vents de l’Histoire sont apathiques. Cette jeunesse, nourrie à la mamelle de la Révolution et des grandes campagnes napoléoniennes, arrive à maturité dans une Restauration aphone. Dans ce monde sans idéal, seul demeure l’amour pour souffler dans les voiles de l’existence.

Quel traitement choisissez-vous ?

F. B.-G. : Nous avons choisi de traiter la pièce dans une esthétique contemporaine. L’action se déroule lors d’un carnaval. Le décor pourrait être celui d’une fête contemporaine. Je ne revendique pas systématiquement la contemporanéité, mais il est indéniable que Musset crayonne dans cette brève pièce un désarroi très proche du nôtre, qui reflète une sorte d’effritement désagréable et pourtant inéluctable de toute conviction. Les jeunes gens y répondent avec une santé fiévreuse qui définit le romantisme. J’ai travaillé Musset après Kleist, plutôt que Hugo ou Goethe, parce qu’ils sont romantiques comme on est malade. Leur théâtre est obsessionnel, sans dramaturgie réfléchie, à la fois enfantin et brillamment intelligent. Ils aiment et détestent l’amour, adulent et craignent les femmes. Il y a chez Musset un pli mental qui le rend à la fois mondain et sauvage, et qui s’exprime de manière incandescente dans Les Caprices de Marianne, petit joyau, geste d’humeur et de violence, rébellion pourtant sans débouchés contre une époque neurasthénique et étouffante. J’espère un spectacle brutal et mélancolique, mieux encore : une brutale mélancolie.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Les Caprices de Marianne
du jeudi 10 novembre 2016 au dimanche 11 décembre 2016
La Tempête
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France

Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 1h50.

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