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Théâtre - Entretien

Les Bas-Fonds

Les Bas-Fonds - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux
© Caroline Ablain Légende : Le metteur en scène et comédien Eric Lacascade.

Entretien / Eric Lacascade
Les Gémeaux / De Maxime Gorki / adaptation et mes Eric Lacascade

Publié le 21 février 2017 - N° 252

Après Les Barbares et Les Estivants, Eric Lacascade retrouve la puissance sociale, humaine et politique du théâtre de Maxime Gorki avec Les Bas-Fonds.

Avec Anton Tchekhov, Maxime Gorki est l’auteur dont vous avez exploré le plus de pièces. Quel sens donnez-vous à cette fidélité ?

Eric Lacascade : D’abord il faut dire que ces deux auteurs sont liés. Ils sont quasiment en conversation dans l’histoire du théâtre. L’un est nourri de l’impensé de l’autre. Gorki prolonge l’œuvre de Tchekhov de manière évidemment différente, mais à travers un champ de thématiques qui, si on y regarde de près, n’est finalement pas si éloigné de celui de son aîné. On peut considérer ces deux écritures comme opposées, mais comme le seraient celles d’un père et de son fils.

Est-ce donc l’écriture de Tchekhov qui vous a amené à visiter celle de Gorki ?

  1. L. : Oui. Quand je me suis demandé quoi faire après Oncle Vania, l’année dernière, l’œuvre de Gorki a attiré mon regard et mon attention. Sur la trentaine de spectacles que j’ai créés dans ma vie, j’ai mis en scène, en comptant Les Bas-Fonds, trois pièces de Gorki et six de Tchekhov. Ce qui ne représente finalement qu’une partie de mon travail, mais une partie qui fait colonne vertébrale, qui fait trajectoire, qui fait histoire… Régulièrement, j’ai besoin de retourner à ces œuvres qui constituent, d’une certaine façon, la source de notre théâtre. Une autre chose qui peut expliquer cette fidélité, c’est que ces deux auteurs ont essentiellement écrit des pièces de groupes, des pièces de communautés qui induisent des perspectives de « vivre ensemble ». Or, à travers ces formes de « vivre ensemble », toutes les passions humaines sont à l’étude. Et ça, ça m’intéresse énormément.

Dans ces pièces, quels rapports entre ces communautés et les individus qui les composent s’établissent-ils ?

  1. L. : Ce qui est formidable, avec ces auteurs-là, c’est que la communauté n’étouffe pas l’individu. Je veux dire que l’individu se révèle à travers la communauté. La communauté est au service de la puissance de l’individu, et l’individu – puissant – est au service d’une communauté forte et intelligente. Cet axe de travail est l’un de ceux qui m’intéressent particulièrement. Et pour cela, Gorki et Tchekhov sont de très bons guides, de très bons inducteurs : à la fois dans ce qu’ils écrivent et dans la façon dont ils l’écrivent. Je crois que lorsqu’on monte ces auteurs, chaque acteur, chaque individu doit être coproducteur du spectacle. Je travaille avec des comédiens créatifs, qui sont force de proposition. Nous réfléchissons tous ensemble, dans une communauté de travail.

« Au théâtre, il faut trouver le geste subtil qui rehausse la réalité du monde extérieur... »

Les problématiques que développent ces textes sont-elles pour vous secondaires ?

  1. L. : Non, bien sûr. Ces problématiques sont tellement humaines, tellement simples, que tout le monde peut s’y reconnaître. Je travaille toujours à un théâtre populaire, accessible au plus grand nombre. J’ai longtemps, à travers les pièces que j’ai abordées, parlé des classes petites-bourgeoises, voire bourgeoises, voire des classes dominantes. Avec Les Bas-Fonds, pour la première fois, je vais travailler à un endroit que je ne connais pas, qui est la communauté des gens de peu, des gens de rien, des exclus, des laissés-pour-compte… Cette communauté, d’ailleurs, est traversée par les mêmes passions du « vivre ensemble ». Mais elles sont exacerbées par ces gens dénués de tout. Tout cela est donc encore plus violent, plus radical, plus aigu, plus en crise que dans les pièces que j’ai pu, par le passé, mettre en scène.

Selon vous, qu’est-ce que Gorki cherche à nous dire – sur l’humain, sur le monde – à travers Les Bas-Fonds ?

  1. L. : Je ne pense pas que Gorki ait écrit cette pièce pour faire un portrait des bas-fonds de l’humanité. Je pense qu’il a choisi de parler de cette communauté d’exclus pour nous dire que même à cet endroit-là, ça respire encore. Que même à cet endroit-là, l’homme peut avoir un avenir. C’est un aspect de l’œuvre de Gorki qui me plaît énormément et que je trouve très intéressant de mettre en rapport, aujourd’hui, avec à ce qui se passe dans le monde.

De quelle façon, sur le plateau, souhaitez-vous investir la puissance politique de ce théâtre ?

  1. L. : Pour peindre les exclus ou les voyous – parce que c’est aussi beaucoup un univers de voyous dont il s’agit, de petits malfrats – un théâtre réaliste n’est pas suffisant. Au théâtre, il faut trouver le geste subtil qui rehausse la réalité du monde extérieur : d’où la recherche d’une forme. J’ai essayé de créer, dans l’espace du plateau, quelque chose qui se passe vraiment « ici et maintenant », qui soit vraiment en prise directe avec l’instant théâtral.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Les Bas-Fonds
du vendredi 17 mars 2017 au dimanche 2 avril 2017
Les Gémeaux
49 Avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux, France

Du 17 mars au 2 avril à 20h45, dimanche à 17h, relâche lundi. Tél. 01 46 61 36 67.

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