La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Le Triomphe de l’amour

Le Triomphe de l’amour - Critique sortie Théâtre saint denis Théâtre Gérard Philipe
Galin Stoev Crédit photo : 3InSpirit

TGP / Le Triomphe de l’amour/De Marivaux
Entretien Galin Stoev

Publié le 4 septembre 2013 - N° 212

Loin des badinages qui trop souvent enrubannent la comédie en mignardise, le théâtre selon Marivaux procède de l’expérience et révèle les êtres à eux-mêmes par l’action du travestissement. Galin Stoev, metteur en scène bulgare se partageant entre Bruxelles, Paris et Sofia poursuit l’exploration de son répertoire avec Le Triomphe de l’amour.

Après Le Jeu de l’amour et du hasard, que vous avez magistralement mis en scène en 2011, vous revenez à Marivaux.

Galin Stoev : Je n’ai vraiment découvert son théâtre qu’en le lisant en français et non plus dans une traduction. Chez cet auteur, le langage est un personnage à part entière. C’est cette richesse de la langue qui m’a permis d’entrer dans ses textes comme dans un labyrinthe fait de miroirs, avec l’impression que si j’arrivais à le traverser pour me retrouver « de l’autre côté », il serait possible de vivre ce qu’Alice a vécu en suivant le lapin blanc….Par ailleurs, il y a aussi chez Marivaux un principe fondateur paradoxal : il donne à ses personnages la capacité de dire simultanément deux choses qui s’excluent l’une l’autre. Il s’occupe moins de l’intrigue que de la mécanique des rapports humains. C’est un « horloger psychanalytique ».

De quel triomphe s’agit-il ?

G. S. : L’intrigue est très simple : Léonide, princesse de Sparte, tombe amoureuse de son plus grand ennemi supposé – Agis, le prince héritier des anciens souverains déchus, et cela conduit à une stratégie de ruse, de mensonge et de travestissement. Ce qui m’intéresse, c’est l’espace mental et émotionnel que cette situation implique. Comme souvent chez Marivaux, le sentiment amoureux se compose de désir et de tabou, qui sont de nature aussi bien politique qu’émotionnelle. La peur que l’amour éprouvé soit rejeté donne naissance à une faiblesse et une dépendance par rapport à l’objet du désir. C’est cette faiblesse qui engendre à son tour un plan politique audacieux : restituer l’héritier légitime sans pour autant que la princesse ne perde sa couronne. Ainsi, la faiblesse se transforme en tactique, voire en politique offensive. Par ailleurs, lorsque Léonide envahit ces territoires émotionnels avec ses mensonges et ses jeux d’identité, elle commence à décomposer sa propre identité, à se perdre peu à peu dans son propre labyrinthe schizophrène. Elle souffre autant qu’elle triomphe !

La question de l’identité, de sa révélation par une mise à l’épreuve, par le travestissement, trouve-t-elle un écho particulier dans notre époque ?

G. S. : Aujourd’hui, on se déguise non pour cacher mais pour exposer. Notre contexte historique et culturel est marqué par un exhibitionnisme presqu’irrationnel, qui ne fait que renforcer le sentiment inconfortable de vide qui nous entoure. Le déguisement est une manière de rendre le néant supportable. Chez Marivaux en revanche, il révèle l’imagination au lieu de l’annuler. Tout se passe chez lui comme si une identité étrangère nous rendait audacieux envers les autres et envers nous-mêmes : cela nous donne du courage, puisque ça nous met à l’abri du jugement direct. Derrière un masque, on devient plus libre, et paradoxalement, plus vrai. Mais cette identité étrangère ne fait sens que quand elle est limitée dans le temps. Mais alors qu’est-ce qui reste après la fin du carnaval ? Généralement, l’identité est considérée comme stable, fixée dans le temps et dans l’espace. Or chez Marivaux, elle est souvent liée au masque, lorsque le masque devient l’identité elle-même. Dans ce processus, l’identité en soi se transforme en quelque chose d’inconstant, de fluide et de dynamique. Comprendre l’identité ainsi a un effet libérateur, surtout à notre époque où on a tendance à s’accrocher aveuglément à certains principes figés.

« Marivaux ne raconte pas une histoire, mais il nous rend témoin de processus de transformation quasi organiques, et en temps réel. » 

Pourquoi une distribution entièrement masculine ?

G. S. : Dans les mises en scène des pièces classiques où un personnage féminin se travestit en garçon, l’effet n’est presque jamais convaincant. Dans Le Triomphe de l’amour, une restriction déclenche l’intrigue : dans le jardin du philosophe où toute l’histoire se déroule, la présence des femmes est interdite, excepté pour Léontine, la sœur du philosophe, mais c’est depuis longtemps qu’elle s’est interdit d’être femme. Je me sers de cette interdiction comme d’un appui de jeu. D’où une distribution exclusivement masculine. Cela nous éloigne de tout réalisme et de la psychologie pour s’approcher de la notion d’expérience, qui est l’une des préoccupations majeures du siècle des Lumières. Chez Marivaux, l’homme qui ment n’est autre que l’homo ludens : c’est le personnage qui tisse la réalité à travers le jeu, celui qui se lance dans ses propres stratagèmes sans savoir qu’il sera peut-être le premier à s’y égarer… Marivaux ne raconte pas une histoire, mais il nous rend témoin de processus de transformation quasi organiques, et en temps réel : processus dans lesquels on voit des personnes qui ont détesté l’amour toute leur vie, et qui finissent par s’y abandonner. Par là, ils sont paradoxalement révélés à eux-mêmes, mais aussi précipités vers leur propre destruction. C’est ce processus que le spectateur est invité à suivre.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

Le Triomphe de l’amour
du lundi 30 septembre 2013 au dimanche 20 octobre 2013
Théâtre Gérard Philipe
59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis.

Du 30 septembre au 20 octobre 2013, à 20h sauf samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche mardi. Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis. Tél. : 01 48 13 70 00.
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