La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Le Testament de Marie

Le Testament de Marie - Critique sortie Théâtre Paris L'Odéon

Odéon – Théâtre de l’Europe / de Colm Tóibín / mes Deborah Warner

Publié le 24 avril 2017 - N° 254

Après avoir créé Le Testament de Marie à New York, puis à Londres, avec la comédienne Fiona Shaw, Deborah Warner présente une version française de la pièce de Colm Tóibín. C’est aujourd’hui Dominique Blanc qui incarne une Marie ordinaire : « avec toutes ses craintes, ses peurs, ses insuffisances ».

Vous avez déclaré que la découverte du Testament de Marie a été, pour vous, une expérience très particulière. Quel regard portez-vous sur ce texte ?

Deborah Warner : Quand Colm Tóibín m’a dit qu’il était en train d’écrire un monologue pour la Vierge Marie, je me souviens m’être dit qu’il était extraordinaire que personne n’y ait jamais songé auparavant, et qu’il serait fascinant d’entendre parler cette femme silencieuse entre toutes. Marie nous est parvenue non par le biais de mots, à part ceux des prières qu’on a écrites pour elle, mais à travers de nombreuses images. Colm Tóibín lui a donné une voix. Il est allé à Ephèse et s’est mis à l’imaginer dans les années qui ont suivi la crucifixion, enfermée dans un deuil qui ne se dissipe pas. Colm a d’abord écrit son texte sous forme de monologue théâtral, puis de roman. Il ne s’agissait donc pas pour moi d’adapter à proprement parler une œuvre romanesque en vue de la scène, même s’il y a eu beaucoup de versions différentes du texte à mesure que le travail avançait.

Quelle femme se dessine à travers le personnage aujourd’hui incarné par Dominique Blanc ?

D.. : La Marie que nous fait ressentir l’œuvre de Colm est une femme qui n’a rien d’héroïque, avec toutes ses craintes, ses peurs, ses insuffisances. Elle est encore plongée dans le traumatisme et le deuil qui ont suivi la crucifixion et ses circonstances. Cette pièce est on ne peut plus séculière : elle traite d’une mère abandonnée par son fils, et qui l’abandonne à son tour. Elle est imprégnée de l’esprit non de la religion, mais de la vie ordinaire – de cette expérience universelle qu’est la perte d’un enfant quand il grandit puis s’en va, de cette haine de soi qui habite Marie parce qu’elle n’est pas la mère qu’elle voulait être. J’ajouterais que c’est une pièce très digne sur une femme très digne. La colère, le désespoir, la naïveté de Marie sont toutes des émotions nouvelles, rarement associées à la femme dont l’histoire de l’Eglise a gommé tous les reliefs. Cela dit, sur un plan spirituel, nous accédons à une compréhension nouvelle tandis que nous suivons avec elle, métaphoriquement, les stations du chemin de croix. Dominique Blanc va apporter au rôle la puissance de son imagination et de son expérience.

 

« Je crois vraiment que le théâtre doit stimuler un public, dialoguer avec lui, d’une façon profonde. »

 

Vous avez dirigé cette comédienne il y a 20 ans, dans Maison de poupée. Comment pourriez-vous éclairer la façon dont elle s’empare de ses personnages ?

D.W . : Dominique est une grande actrice classique, et comme toutes les actrices classiques, elle peut s’attaquer aux grands rôles, les illuminer par-delà le gouffre du temps et nous les restituer dans leur fraîcheur, avec un pouls qui bat aujourd’hui. Elle apporte sa propre vérité, en tant que miroir de personnages qui nous parviennent à travers différentes cultures, à travers les siècles. Elle est d’une profonde sensibilité, très exigeante dans sa poursuite de la vérité, vraiment imaginative. Je suis convaincue qu’elle va produire quelque chose d’extraordinaire dans le rôle de Marie.

 

Les critiques disent souvent de votre théâtre qu’il est radical. Que vous inspire ce point de vue ?

D.W . : Ce sont là les mots des critiques, mais je crois vraiment que le théâtre doit stimuler un public, dialoguer avec lui, d’une façon profonde – et pour cela, il nous faut travailler dur pour réinventer cette expérience à chaque fois que nous nous attaquons à un nouveau chantier. Il ne peut pas y avoir de répit quand on est en quête de nouveauté, que ce soit pour le style de la mise en scène, le décor, la découverte d’un nouveau texte ou d’un nouvel interprète. Nous vivons à une époque où le théâtre perd du terrain. D’autres choix attirants s’offrent à nos publics : des films formidables, des séries télé extraordinaires – et si le théâtre doit survivre, il faut qu’on se batte pour lui tel qu’il est, pour le jeu vivant au présent. Je trouve de plus en plus important que l’expérience vécue par le public commence à l’instant où il pénètre dans la salle. Une partie très importante du Testament de Marie est constituée par ce que j’appelle « l’avant-spectacle » – un événement sur scène d’une durée d’une trentaine de minutes, qui précède le début du spectacle proprement dit. Je signale à toutes les personnes intéressées qu’il peut valoir la peine de venir un peu plus tôt que d’habitude…

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat, traduit de l’anglais par Daniel Loayza

A propos de l'événement

Le Testament de Marie
du vendredi 5 mai 2017 au samedi 3 juin 2017
L'Odéon
Place de l'Odéon, 75006 Paris, France

Odéon – Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 75006 Paris. Du 5 mai au 3 juin 2017. Du mardi au samedi à 20h, les dimanches à 15h. Relâche les lundis et le 7 mai. Tél. : 01 44 85 40 40. www.theatre-odeon.eu

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