La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Président

Serge Lipszyc agence textes, sons et images pour une vision du monde signée Hanokh Levin, corrosive, fantasmée, terriblement désenchantée... et pourtant drôle.

Publié le 10 avril 2007

Un chef d’état et son épouse, figés dans le mirage de leur autorité toute
puissante, s’opiniâtrent à jouer la comédie d’un pouvoir sur le point de
s’effondrer. Mise en scène par Blandine Savetier, cette forme de diptyque
grotesque et grave de Thomas Bernhard peine à trouver son équilibre dans le
couple présidentiel qu?incarnent Dominique Valadié et Eric Guérin.

Précédé d’un préambule sur le rire et la mort mêlant mots de l’auteur et de
la metteure en scène ? avant-propos préfigurant l’entrelacement typiquement
bernhardien du comique et du tragique ? Le Président donne tout d’abord
la parole à la Présidente. La Présidente qui s’habille en compagnie de Madame
Gai (Charlotte Clamens, remarquable), sa femme de chambre obéissante et
taciturne. Portée par la virtuosité de Dominique Valadié, cette figure
péremptoire et versatile s’élance dans un quasi-monologue aux résonances
obsessionnelles, récursives, morceau de bravoure auquel la comédienne donne des
accents de brio. « Les anarchistes / sont partout / Madame Gai / et ils ne
reculent devant rien / devant rien Madame Gai / Maintenant ils procèdent / avec
méthode / dit l’aumônier / et qu’il s’agit de fous / Ils haïssent mon mari
Madame Gai / Vous avez lu / Il faut que le Président s’en aille / ont-ils écrit
/ Il faut que le Président s’en aille 
». Construit sur un procédé de
face-à-face faisant se réfléchir et se répondre, à travers l’écriture rythmée et
musicale du dramaturge autrichien, les propos des deux protagonistes centraux,
Le Président nécessite un binôme d’acteurs capables de porter la langue
de Bernhard à un même niveau d’acuité et d’inventivité.

Une représentation à une seule jambe

C’est à cet endroit que le bât du spectacle blesse. Car si Dominique Valadié,
dans la première moitié du Président, s’empare de sa partition avec une
aisance et une maestria évidentes, dès qu’elle quitte le plateau pour laisser
Eric Guérin prendre seul les rênes de la représentation, la mise en scène de
Blandine Savetier se met à faire pschitt. Cette forme de déchirure faisant
subitement disparaître ambivalence, densité et dérision est d’autant plus
criante que le texte souligne en permanence les similitudes stylistiques qui
relient les propos du Président à ceux de son épouse. Ainsi, les « mon
enfant 
» puis « messieurs » perpétuels qui ponctuent les phrases
d’Eric Guérin ne parviennent pas à retrouver le chemin pentu, pointu et sinueux
que révélaient les incessants « Madame Gai » et « dit l’aumônier »
de Dominique Valadié. Une certaine platitude, une certaine vacuité, encore
accentuées par une scénographie manquant d’inspiration, finissent alors par
entraver l’éclat de cette pièce magistrale sur le pouvoir, le théâtre, les
artifices, la paternité, la déchéance?

Manuel Piolat Soleymat

Le Président, de Thomas Bernhard ; mise en scène de Blandine Savetier. Du
20 avril au 13 mai 2007. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le
dimanche à 15h30. Relâche les lundis, ainsi que les mardis 1er et 8 mai. Théâtre
National de la Colline, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44
62 52 52. Spectacle vu à la Comédie de Béthune.

A propos de l'événement


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