La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Misanthrope

Le Misanthrope - Critique sortie Théâtre
Thierry Hancisse (Alceste) et Marie-Sophie Ferdane (Célimène), impossible couple

Publié le 10 juin 2007

Lukas Hemleb cherche à dépouiller les personnages de Molière de leurs costumes habituels, brodés d’étiquettes convenues. Bien léger…

L’humeur hirsute, les cheveux lâchés dans la bataille, la colère roidie par l’amertume écorchée vive, Alceste crache la tempête de son âme, affreusement meurtrie : « Je ne hais rien tant que les contorsions de tous ces grands faiseurs de protestations, ces affables donneurs d’embrassades frivoles, ces obligeants diseurs d’inutiles paroles, qui de civilités avec tous font combat, et traitent du même air l’honnête homme et le fat. » clame-t-il. Humaniste désenchanté, moraliste écœuré d’hypocrisies, il est surtout un amant qui doute, un jaloux compulsif qui se jette dans l’abîme du soupçon et ne supporte pas les entrechats du cœur dans la folle ronde des apparences. Un désespéré à fleur de nerf, d’autant plus intransigeant, donc acceptant finalement l’inacceptable : la frivolité de Célimène, ses médisances, ses esquives, ses minauderies piégées. La belle mondaine, riche veuve de vingt ans, raffole du beau monde, adore encore plus briller de son bel esprit et sentir vibrionner autour d’elle les friselis de l’amour. Paraître se donner pour n’appartenir qu’à elle-même ?

Des pulsions corsetées

Avec Le Misanthrope, créé en 1666, Molière croque la petite société aristocratique, quadrillée par ses codes, ses galanteries guerrières, ses trafics d’influences. Il montre aussi les faces griffées sous le fard et les forfaits de l’orgueil. « Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde / Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer ! » écrivait Musset à propos de l’atrabilaire amoureux. En s’attaquant à ce chef-d’œuvre classique, Lukas Hemleb cherchait, disait-il, à « sortir les personnages de leur définition convenues. » Il plante sa cour dans un temps indéterminé, rejeté dans le passé par des costumes d’époque stylisés. Cernés de toiles peintes qui laissent deviner en transparence un labyrinthe de portes dérobées, les personnages s’affairent dans le trompe-l’œil de leur existence. Oronte (Hervé Pierre), ridicule menaçant, Philinte (Eric Génovèse) et Eliante (Elsa Lepoivre), sages et modérés, Arsinoé (Clothilde de Bayser), prude en chaleur, les petits marquis (Christian Gonon et Loïc Corbery), précieux emperruqués, entourent Célimène (Marie-Sophie Ferdane), coquette toute en voluptueux soupirs, œillades et tranchantes répliques, tandis qu’Alceste (Thierry Hancisse), héraut dépressif de la vertu, grandiloquent pleurnicheur, renifle son chagrin bourru… Tous restent rivés au parangon de leur rôle. Sauf lorsqu’ils laissent parler leurs corps, trahissant les pulsions corsetées par la langue. La mise en scène flotte, indécise, s’ankylose dans une lenteur d’artifice : elle vacille dans le mélodrame, frôle la satire, dérape dans le psychodrame… Le spectacle paraît bien loin de ses ambitions.

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